Page 27 - monseigneur
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La terre n'était pas encore très défrichée. Le sarrasin était
                                semé plus tard, ce qui retardait la récolte d'autant. Au début
                                de l'hiver, mon père allait au moulin à farine, à deux
                                paroisses de chez nous, à Saint-David. Il rapportait la farine
                                de sarrasin et celle de blé aussi, si nous en avions. Au mêmt:
                                moulin, on cardait la :l.aine ; ça se faisait dans le même voyage.
                                Tout était prêt pour l'hiver. Nous avions récolté nos patates.
                                Mon père en avait toujours à vendre, car elles étaient
                                bonnes. Nous mangions aussi du blé d'Inde. À propos du blé
                                d'Inde: nous faisions une couple d'épluchettes et les jeunes
                                 aimaient ces veillées. Si un garçon trouvait un épi rouge, nous
                                connaissions ses préférences! Ce qui restait après les éplu··
                                chettes, mon père en faisait des tresses qu'il suspendait dans
                                 le haut de l'allonge, après les poutres. L'hiver, maman lessi··
                                 vait du blé d'Inde pour ajouter à la soupe aux pois et elle
                                 faisait aussi de la sagamitée (sorte de bouillie au lait) avec ce
                                 blé d'Inde. C'était bon et nourrissant.
                                    Mon grand-père Morvan nous racontait qu'il faisait ses
                                 récoltes à la faucille et aussi au javelier. J'ai vu ces instru-
                                 ments accrochés dans la remise. Il y avait aussi un autre
                                 instrument, une tille, qui servait à creuser dans le bois pour
                                 faire des auges à cochons. Il y avait toujours dans la remise ou
                                 le hangar une meule pour affiler les faux ou les couteaux. La
                                 lime servait pour la scie ou le godendard. Ma grand.mère me
                                 racontait qu'il aimait à ce qu'elle le suive aux champs, même
                                 si elle avait un jeune enfant. Elle enveloppait son petit dans
                                 son tablier et elle s'assoyait sur le bord du fossé ou du chemin.
                                 Ils avaient, lui 20 ans et elle 18 ans. De vrais amoureux. Ils ont
                                 vécu assez longtemps pour fêter leurs noces de diamant, mais
                                 les circonstances n'ont pas permis de célébrer cet événement.
                                    Quand arrivait le printemps, c'était aussi la tonte des mou-
                                 tons. Ces pauvres étaient pris et étendus devant l'entrée de la
                                grange, et là, ils se faisaient déshabiller. Quand ils se rele-
                                 vaient tout nus, en peau, ils avaient l'air bête, c'est le cas de le


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