Page 24 - monseigneur
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mérite de faire ce travail presque à la journée longue. Il
                             semait de l'avoine, du sarrasin, du blé et des pois. Mais nous
                             n'avions pas une terre pour ces cultures. Il semait aussi de
                             l'orge et du lin, mais pas tous les ans.
                                 Puis il y avait la terre du jardin à préparer. Mon père la
                             labourait. Quand elle était prête, ma soeur et moi semions un
                             petit carré de fleurs et ma mère faisait des carrés ou des rec-
                              tangles pour y semer les différents légumes: des patates, juste
                              pour en avoir de bonne heure (nous avions un grand champ de
                             patates pour la provision annuelle), des carottes, des choux,
                             des navets, des fèves aussi, et des betteraves. Les tomates,
                             c'est venu plus tard; j'étais plus âgée quand nous avons com-
                              mencé à en manger. Malgré tous ces légumes, je me rappelle
                             que ma mère les utilisait seulement pour la soupe, le diman-
                             che. Dans la semaine, c'était la soupe aux pois avec du lard
                             salé, de la sarriette et du blé d'Inde (maïs) lessivé. Nous, les
                             enfants, nous n'aimions pas beaucoup le lard gras chaud;
                             aussi, nous nous bourrions de soupe et de dessert.
                                 Nous semions en nous avançant à quatre pattes, car ce
                             n'était pas commode de se lever souvent. Et, le soir, les reins
                             avaient besoin d'une bonne gymnastique. La semence de ces
                             légumes, patates, blé d'Inde et «fèves à bines» (haricots
                             secs) se faisait à la main aussi. Les rangs étaient tracés avec
                             la charrue et nous semions dans ces rangs, en y laissant les
                             espaces voulus, selon les espèces, et ceux qui suivaient enter-
                             raient le tout avec les pioches. Nous attendions, avec impa-
                             tience, que toutes ces semences se montrent au jour. Nous
                             étions contents. Je dis «nous », mais j'ai peu contribué à ces
                             travaux. Quand j'ai été assez âgée pour le faire, les méthodes
                             avaient déjà changé. Mon père s'était procuré une sarcleuse
                             et une moissonneuse qui faisait des gerbes. Le moulin à fau-
                             cher ne servait plus que pour le foin.
                                 Nous avions aussi des gadelliers et des groseilliers, un
                             prunier et un cerisier. Le jardin n'était pas grand, mais nous


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