Page 29 - monseigneur
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faisait encore trop froid, nous les gardions quelque temps dans
                                 la cuisine. C'était amusant. Enfin, elles étaient heureuses de
                                 sortir et de s'épivarder, mais ma mère avait une dure tâche à
                                 accomplir pour arriver à nettoyer ce poulailler. Quand les
                                 poules se secouaient, nous appelions ça «s'épivarder ». Quand
                                 les enfants étaient trop tannants, on les envoyait s'épivarder
                                 dehors...
                                    Je reviens à la boucherie. Je n'aimais pas voir le couteau se
                                 poser sur la gorge d:.! cochon et l'entendre s'égosiller. Je ne
                                 pouvais supporter ça et j'allais me cacher au fond de la
                                 maison. Ma mère assistait, munie du grand plat à vaissell~
                                 pour recueillir le sang et en faire du boudin. Les tripes étaient
                                 vidées, nettoyées et lavées à grande eau, et ensuite retournées
                                 à l'envers. Ma mère préparait ce sang non coagulé avec du sel,
                                 des oignons et du lard coupé en petits morceaux. Elle remplis-
                                 sait les tripes avec un petit entonnoir réservé à cet usage. Nous
                                 l'aidions. Durant ce temps, l'eau bouillait dans le grand chau-
                                 dron, puis le boudin y était placé pour la cuisson. Ma mère se
                                 servait d'une aiguille pour piquer Je boudin et lorsqu'il ne sor-
                                 tait plus de liquide, il était cuit. Une table était préparée pour
                                 recevoir ce boudin: de temps en temps, ma mère graissait
                                 cette table avec une couenne de lard pour que ça ne colle pas.
                                 On aurait pu le conserver longtemps, mais nous étions si nom-
                                 breux que ça ne durait que quelques repas. Aujourd'hui, le
                                 boudin n'a plus le même goût!
                                    Nous avons toujours eu un chien. Celui de mon jeune
                                 temps était jaune, gras et s'appelait Tingueur. Il nous accom·
                                 pagnait pour aller cri (chercher) les vaches, qui, dans le jour,
                                 s'éloignaient jusqu'au bord du bois. Quand elles nous voyaient
                                 venir (elles connaissaient l'heure aussi), elles se mettaient en
                                 chemin. Le chien courait de l'une à l'autre si quelques-une~
                                 traînaient en arrière. Nous tirions (trayions) les vaches devant
                                 la porte de l'étable, accroupis sur nos talons. Quand j'étais
                                 petite, nous n'en avions que neuf et elles étaient plus ou moin~


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