Page 31 - monseigneur
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avait travaillé deux ans aux États (États-Unis) avant son ma-
riage, avait pris le goût du thé, et aussitôt qu'elle a pu en trou-
ver, même s'il était commun, elle s'en est procuré. Elle salait
aussi des petits concombres, conservés dans un grand pot de
grès. L'hiver, dessalés, c'était bien bon avec du rôti ou du
ragoût de pattes de cochon.
Et puis nous mangions de la galette de sarrasin, presque
tous les matins et soirs. Ma mère s'était fait faire un grand
plat exprès chez le ferblantier, car nous étions nombreux. Elle
étendait sa pâte sur toute la longueur de la plaque du poêle à
deux ponts. La galette ne se faisait pas d'avance; nous
aimions la manger chaude et mince, quitte à attendre notre
tour. Ma mère séparait cette galette en six ou huit parties: elle
contentait un peu tout le monde. Elle n'a jamais pu manger en
même temps que nous. En dernier, elle ajoutait (pour eUe) un
peu de soda; la galette était plus souple et elle aimait mieux
ça. La galette faite dans ces conditions est ce qu'il y a de plus
délicieux, avec du beurre, naturellement, au lieu de la mélasse
à Séraphin!
Le midi, nous mangions du pain. Mon grand-père, qui
était toujours au bout de la table, plaçait le gros pain sur son
genou; il Yfaisait une croix avec son couteau, avant de l'enta-
mer. Nous n'en étions pas privés, mais nous ne devions pas le
gaspiller. Ma mère faisait aussi des grillades de lard avec une
grosse omelette. Le manger ne nous a jamais fait défaut. Le
sirop de plaine était notre dessert. Pour le ménager en hiver,
nous achetions de la mélasse en cruches d'un ou deux gallons
(4,55 et 9,09 1). Celle-ci venait directement des Barbades dans
de grosses tonnes. Elle n'avait pas de parenté avec ce qu'on
nous vend aujourd'hui! Nous étions contents de changer de
dessert.
Le battage au moulin nous amusait aussi. Le «horse-
port» (horse-power) était placé au bout de la batterie, espace
entre les deux «tasseries ». C'était les chevaux qui faisaient
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