Page 63 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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-Ceux de la ville ne sont pas moins dangereux ... Et pis, tu
sais, on a pas assez de quarante ans pour se débarrasser de l'habi-
tant qui est en nous autres. Y a probablement rien que la mort !
Honoré se tut et resta immobile comme un coureur qui veut
récupérer après une longue course. Ensuite, il se leva en s'étirant ;
il se rendit dans la penderie et, de la poche intérieure de son veston,
il tira deux cigares. II en offrit un à Louis-Philippe. Dans un geste
étudié, il alluma le sien. C'était comme une récompense qu'il s'of-
frait. II se sentait soulagé comme s'il avait pris un bain d'âme. En
reprenant la berceuse, il échappa cette observation :
-Toi, au moins, t'es heureux.
Cette affirmation - qui avait aussi le sens d'une question -
prit Louis-Philippe par surprise. Il rétorqua :
-Le bonheur ! Quelqu'un t'a déjà dit ce que c'est? Ça me
paraît un fantôme après lequel tout le monde court et que personne
ne réussit à attraper ... Si c'est être content de soi, être satisfait de
son sort, je n'suis certainement pas heureux. T'as appris ce qui
nous arrive?
-On ne parle que d'ça à La Morendière. Vous êtes pas à
plaindre avec ce que le Gouvernement vous donne !
-T'as cru c'que les gens d'en-bas t'ont dit! ficoute bien.
Pendant près de quarante ans, j'ai trimé diir du lever au coucher
du soleil, et souvent beaucoup plus tard. Je m'suis éreinté à remuer
cette terre aride et c'est à force de persévérance que j'ai acquis
quelque bien et un peu de liberté. Tu m'vois en-bas ! À quoi faire ?
Je n'crains pas le travail, mais je n'connais que la terre et la forêt.
Peut-être qu'un jour je devrai vivre d'assistance publique ...
Le cousin s'esclaffa :
-Toi, sus l'assistance publique ! Tu t'moques de moi.
-Au contraire, j'suis sérieux. Tu connais le prix des maisons
dans la région. Faudra payer les taxes, se chauffer, s'habiller, man-
ger trois fois par jour, payer l'électricité et le téléphone. Pierre en a
encore pour un bon bout de temps aux études.