Page 61 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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après  la  drave,  il  avait  tout  juste  assez  d'argent  pour  s'habiller
                                    convenablement et acheter un billet de chemin de fer pour  Montréal.
                                    Comme plusieurs de  ses concitoyens, il  espérait  y trouver  du  travail
                                    et la liberté.
                                        Il  n'avait  pas  tardé  à  perdre  ses  illusions,
                                        Seul, dans une jungle  funeste à l'inexpérience, il avait été réduit
                                    A une  indigence  que  les  plus  miséreux  de  sa  paroisse  natale  n'ont
                                    jamais  connue.  Pour  la première fois, il  avait souffert les tourments
                                    de la  faim.  Certains  jours  il  avait  regretté  la  vie  rude  mais  plus
                                    humaine des travailleurs de la  terre.  11 pensait  parfois  à ses parents
                                    qui,  malgré  leur  pauvreté,  avaient  toujours  du  pain  sur  la  table  et
                                    du lard  dans le  saloir.

                                        Après  avoir  vécu  d'expédients  pendant  plus  d'un  an,  il  avait
                                    décroché  un  emploi  irrégulier  de  manœuvre  sur  un  chantier  de
                                    construction.  Petit  à petit, il s'était  entraîné au métier  de menuisier.
                                    Malgré le chômage endémique qui sévit dans l'industrie  du bâtiment,
                                    il  avait  réussi  à  exister,  à  durer  près  de  quarante  ans.
                                        Il lui  était  pénible  de  parler,  mais  il  ne  pouvait  plus  reculer.
                                    Ce n'était  pas  que  Louis-Philippe le  gênât.  il n'avait  jamais  osé  se
                                    mettre à nu  en face de lui-même.  La  sueur  commençait à  lui perler
                                    au front et bien des mots restaient  accrochés à sa langue.  Il s'excusa
                                    de son  désarroi  :

                                        -Ça   me  fait  drôle  de  me  confesser  comme  ça.  Avec  les
                                    chums,  je  donne  pas  ma  place  pour  gueuler,  ni  pour  conter  des
                                    histoires pas  catholiques.  Mais parler  de moi, de ma vie manquée ...

                                        En  voyant  son  embarras,  Louis-Philippe  intervint  :
                                        -Arthur   m'a  dit que t'as  une femme et  des enfants.

                                        -Ma    femme,  une  vieille  histoire !  J'avais  trente-deux  ans
                                    quand  on  s'est  mariés ; elle,  seulement  vingt-trois.  On  est  restés
                                    ensemble  près  de  quatre  ans.  Le  temps  d'avoir  deux  enfants.  Je
                                    m'sus vite aperçu qu'elle continuait à sortir avec d'autres  types, même
                                    que des  soirs elle venait  pas  coucher.  J'sus  même  pas  certain  que
                                    les deux enfants ...
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