Page 170 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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LES ANOENS CANADIENS 171
Après l'inspection de plusieurs têtes, Elise, entendant sous le
châle les rires étouffés de Jules, crut avoir enfin saisi sa proie.
Elle palpe la tête: c'est bien celle de Jules, ou peu s'en faut; le
visage, à la vérité, est un peu long, mais ce diable de Jules a
tant de ressources pour se déguiser! N'a-t-il pas déjà mystifié
toute une compagnie, pendant une soirée entière, sous le dégui.
sement d'habits du temps de Louis XIV, après avoir été présenté
comme une vieille tante arrivée le jour même de France?
Sous ce déguisement n'a-t-il pas eu même l'audace d'embrasser
toutes les jolies dames de la réunion, y compris Elise elle-même?
Quelle horreur! Oui, Jules est capable de tout! Sous cette
impression, tremblante de joie, elle pince une oreille: un cri de
douleur s'échappe, un sourd grognement se fait entendre, suivi
d'un aboiement formidable. Elise arrache son bandeau et se
trouve face à face d'une rangée de dents menaçantes: c'était
Niger. Comme chez le fermier Decmont de Walter Scott,
dont tous les chiens s'appelaient Pepper, chez les d'HabervilIe,
toute la race canine s'appelait Niger ou Nigra, suivant le sexe,
en souvenir de deux de leurs aïeux que Jules avait ainsi nom-
més, lors de ses premières études au collège, pour preuve de ses
progrès.
Elise, sans se déconcerter, ôte son soulier à haut talon, ec
tombe sur Jules, qui tenait toujours Niger à bras-le-corps, s'en
servant comme d'un bouclier, ec le poursuit de chambre en
chambre, suivie des assistants riant aux éclats.
Heureux temps, où la gaieté folle suppléait le plus souvent à
l'esprit, qui ne faisait pourtant pas défaut à la race française!
Heureux temps, où l'accueil gracieux des maîtres suppléait au
luxe des meubles de ménage, aux ornements dispendieux des
tables, chez les Canadiens ruinés par la conquête! Les maisons
semblaient s'élargir pour les devoirs de l'hospitalité, comme le
cœur de ceux qui les habitaient! On improvisait des dortoirs
pour l'occasion; on cédait aux dames tout ce que l'on pouvait