Page 175 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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176                         LES ANCIENS CANADIENS

               frère chéri, tu as payé noblement ta dette à la patrie, et tu peux
               te passer la fantaisie d'épouser une fille d'Albion.  Mais, moi,
               faible femme, qu'ai.je fait pour cette terre asservie et mainte·
               nant silencieuse; pour cette terre qui a pourtant retenti tant de
               fois des cris de triomphe de mes compatriotes?  Est·œ une
               d'Haberville qui sera la première à donner l'exemple d'un
               double joug aux nobles filles du Canada?  Il est naturel, il est
               même à souhaiter que les races française et anglo·saxonne,
               ayant maintenant une même patrie, vivant sous les mêmes lois,
               après des haines, après des luttes séculaires, se rapprochent par
               des alliances intimes; mais il serait indigne de moi d'en donner
               l'exemple après tant de désastres; on croirait, comme je l'ai dit
               à Arché, que le fier Breton, après avoir vaincu et ruiné le père,
               a acheté avec son or la pauvre fille canadienne, trop heureuse de
               se donner à ce prix.  Oh! jamais! jamais!
                  Et la noble demoiselle pleura amèrement, la tête penchée sur
               l'épaule de son frère.
                  - Tout le monde ignorera, reprit-elle, tu ne comprendras
               jamais toi·même toure l'étendue de mon sacrifice! mais ne crains
               rien, mon cher Jules, ce sacrifice n'est pas au·dessus de mes for·
               ces. Fière des sentinaents qui me l'ont inspiré, roure à mes devoirs
               envers mes parents, je coulerai des jours paisibles er sereins au
               milieu de ma famille.   Et sois certain, continua·t-elIe avec
               exaltation, que celIe qui a aimé constamment le noble Archi·
               bald Cameron de Locheill, ne souillera jamais son cœur d'un
               autre amour terrestre.  Tu as fait, Jules, un mauvais choix de
               ce lieu pour l'entretien que tu désirais, de ce cap d'où j'ai tant
               de fois contemplé avec orgueil le manoir opulent de mes aïeux,
               remplacé par cette humble maison construite au prix de tant de
               sacrifices et de privations.  Descendons maintenant; et, si tu
               m'aimes, ne reviens jamais sur ce pénible sujet.
                  -  Ame sublime! s'écria Jules.
                  Et le frère et la sœur se tinrent longtemps embrassés en
               sanglotant.
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