Page 55 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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solidement  ancrés  au  sol  gluant.  la  moustache  et  les  cheveux  au
                                  vent,  il  ressemble  à  un  capitaine  à  la  barre  d'une  barque  de  péche
                                  qui fonce à travers les vagues.
                                      Louis-Philippe  Landry  s'était  placé  à  la  droite  d'Alexis,  pour
                                  l'aider  à glisser la bille vers  la scie.  Ils ont souvent travaillé  ensem-
                                  ble et le rythme de leurs gestes s'accorde aisément.  Du  côté gauche,
                                  Eugène Soucy se tenait prêt  à dégager la scie et à lancer les tronçons
                                  vers  les fendeurs.
                                      Les  deux  plus  jeunes,  Claude  à  Zidore  Lavoie  et  Paul-Aimé
                                  à Pierre Babin,  s'étaient  dirigés vers  la pile  en la  tançant  de regards
                                  frondeurs  comme  pour  lui  dire :  c  À  nous  maintenant,  grosse  gar-
                                  ce ! s  Quand  les  troncs  étaient  trop lourds  pour  être portés,  ils  les
                                  roulaient  jusqu'à  la  table  basculante  sur  des  longerons  d'épinette
                                  noire.  Ils  travaillaient  mains  nues  et  avec  de  grands  gestes,  pour
                                  montrer  qu'ils  avaient  l'expérience  du  travail  de  la  forêt.
                                       Quant  à  Pierre  Babin,  Léon  Levesque  et  Zidore  Lavoie,  ils
                                  fumaient philosophiquement  leur  pipe  en attendant de commencer  à
                                  fendre.  Louis  Berthelot,  qui  n'est  pas  trop  vaillant,  s'était  joint  à
                                  Jean-Baptiste  Savoie  qui  se  fait  vieux,  pour  transporter  les  bûches
                                  jusqu'à  la  maison.  Ceux  qui  n'ont  pas  autre  chose  à  faire  les
                                  empileront.
                                       Dès  qu'Alexis  eut  mis  en  marche  la  tronçonneuse,  le  concert
                                  des  bruits  se  répercuta  au  front  des  collines  et  sur  le  rempart  des
                                  forêts.  Gémissante, quand elle pénétrait  au cœur d'un puissant  meri-
                                  sier ou dans la chair tendre d'un bouleau rose, elle devenait grinçante
                                  quand  on  lui  présentait  à  la  fois  plusieurs  rondins  maigrelets  ou
                                  qu'elle  tranchait  un  nœud  puissant.  En  sourdine,  on  entendait  le
                                  bruit  mat  des  haches,  l'éclatement  des  fibres  du  bois  qui  se  mêlait
                                  aux ahans des fendeurs et  aux jurons  de l'un  des serveurs  qui s'était
                                  coincé  la  main  entre  deux  troncs.
                                       Et l'amas  des troncs fondait  lentement  tandis que du côté de la
                                  maison  s'élevaient  des  piles  symétriques  de bûches.  À  cinq  heures,
                                  il  ne  restait  plus  sur  le  chantier  qu'un  tas  de  bran  de  scie  odorant,
                                  des  morceaux  d'écorces  roses  et  grises.  des  éclats  de  bois  lancés
                                  par  les  haches  et  quelques  bûches  noueuses  qui  avaient  résisté  à
                                  l'assaut  répété des  fendeurs.
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