Page 53 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Depuis  quelques  années,  il  avait  accéléré  l'abattage  de  ses
                                 arbres.  L'argent  qu'ils  lui  rapportaient  compensait  la  baisse  des
                                 revenus de son commerce de pommes de terres et de légumes.  Long-
                                 temps,  il  avait  conservé  intactes  deux  parcelles,  l'une  d'épinettes,
                                 l'autre  de pins.  Depuis qu'il  sait que ni lui,  ni  ses enfants  ne  bâti-
                                 ront  à  Terre-Haute,  il  a  décidé  de  couper  tout  le  bois  marchand.
                                 Au cours de l'hiver,  il  empilera les  billots  près  du chemin  du  rang.
                                      Mème  s'il  gardait  sa  forêt intacte, il  n'obtiendrait  pas  un  sou
                                 de plus  pour  sa  terre.  Ce  sont  les  piueurs  de  lots  qui  en  profite-
                                 raient et  tout  serait rasé  avant  que  le  Gouvernement n'ait  le  temps
                                 d'organiser une surveiuancre efficace.  Il  a  décidé à regret  de  s'atta-
                                 quer  d'abord  au  peuplement  de  pins.  Il y  a  une  grande  demande
                                 pour ce bois  et les prix sont avantageux.
                                      Marie  vaquait  avec  sérénité  aux  tâches  routinières  du  lundi.
                                 De temps en temps, eue jetait  un  coup d'œil du côté de la forêt où,
                                 vers huit heures.  elle  avait vu  disparaître la  camionnette emportant
                                 son  mari.  Elle  imaginait l'amertume  qu'il  rcssent  en  enfonçant  la
                                 scie rageuse dans la chair vive de ces arbres qu'il a conservés jalouse-
                                 ment  pour  les  besoins  futurs  de  la  famille.  Eue  pensait  aussi  au
                                 cousin.  Contrairement  à  Louis-Philippe,  elle  ne  s'interrogeait  pas
                                 dur  les raisons de sa visite ; elle cherchait plutôt à deviner  quel type
                                 d'homme il était.
                                      Vers  dix  heures,  elle  s'aperçut  que  le  ciel  s'était  obscurci  au
                                 point de se confondre avec la  grisaille des montagnes, des forêts el
                                 des couines.  Bientôt, de gros flocons se mirent  à virevolter dans l'au
                                 humide  comme  si,  là-haut,  quelqu'un  secouait une  immense  tamis.
                                 Les uns papillonnaient autour des cheminées ou  se bousculaient  sur
                                 les toits, d'autres se heurtaient  aux  carreaux.  Bientôt,  ils  devinrent
                                 plus  serrés,  et  trop  pressés  d'atteindre  le  sol  pour  continuer  leur
                                 danse échevelée.  Gorgés d'eau,  ils  s'agglutinaient partout,  courbant
                                 les brins d'herbe,  coiffant de blanc les piquets  des clotures, effaçant
                                 les rugosités  du  potager,  la  poussière du  chemin.
                                      Il  semblait  A  Marie  que  la  neige  tissait  une  toile  devant  les
                                 bâtiments de ferme, le dos des collines et la  lisière du  bois.  Eue y
                                 voyait l'image  du  voile  tendu  entre les  habitants de  la  montagne et
                                 ceux de la plaine,  entre eue et son mari,  entre eux  et leurs enfants,
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