Page 119 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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En  revenant  face  au  vent,  il  avait  dû,  par  bout,  marcher  à
                                    reculons pour reprendre son souffle et pour  se protéger la figure.  En
                                    rentrant,  il  jeta  son  casque  et  ses  mitaines  sur  le  banc,  près  de  la
                                    porte,  et  il  se  mit  à  ?a frotter  vigoureusement  les  oreilles  qui
                                    avaient commencé à blarichir.
                                        -11   fait  si  froid ? lui demanda  sa femme.

                                        -Oui,  mais je  crois que ça achève.  Je serais pas surpris qu'on
                                    ait  une  bonne  tempête  avant  longtemps,  une  de  ces  tempêtes  qui
                                    semblent  toujours  pires  que  celles  des  années  précédentes.  L'air
                                    devient humide  et la lune  est entourée d'un  grand  cerne.

                                        Au  cours  de  la  nuit,  le  vent  avait  tourné  au  nord-est.  Vers
                                    neuf  heures du matin, la neige s'était mise à tomber, oblique et drue,
                                    comme  si  elle  était  pou:$sée par  un  soufflet  puissant.  Elle  n'avait
                                    pas tardé  à s'accumuler en bancs  devant chaque obstacle qui s'oppo-
                                    sait  à  son passage.  Par  moment,  la  tourmente  secouait  les  battants
                                    de  la  porte  de  la  grange,  soulevait  comme  des  fétus  de  paille  des
                                    planches  oubliées  près  du  hangar,  siffkait  de  rage  dans  les  noues
                                    des  lucarnes,  fouettait les  carreaux.  On  se  serait  eru  sur  une  mer
                                    démontée.
                                        Pendant  les  courtet; accalmies,  on  apercevait  le  crâne  dénudé
                                    des  collines  et,  dans  les  ehamps,  des  dunes  blanches  aux  arêtes
                                    vives.  La poudrerie  courait  au  ras  du  sol et  s'arrêtait  parfois  pour
                                    garnir  de  frange  le  bord  de la  tranchée  où  passe  le  chemin.  Par
                                    moment,  la  tempête  seniblait  prise  d'une  rage  subite ; eue  dressait
                                    une  blancheur  opaque  qui  voilait  la  forêt,  les  habitations,  le  ciel.
                                    h l'intérieur, le sifflemerit  du  vent wulis se mêlait au ronflement du
                                    poêle.
                                        Louis-Philippe était occupé à remplacer un  barrcau brisé  à une
                                    chaise  de  la  cuisine.  C'est  une  de  ses  manies.  Quand  le  mauvais
                                    temps  l'empêche  de  sortir,  il  cherche  des  choses  à  rfparer.  Après
                                    avoir  repris  son  tricot,  ]Marie avait  tourné  sa  chaise  vers la  fenêtre
                                    pour  observer  les  sarat~andes folles  des  fantômes  en  blanc.  Lors
                                    d'un  bref  moment  où  hi  tempête  s'était  apaiséc,  comme  pour  per-
                                    mettre  au vent  de reprendre  son élan, elle soupira  ct  la  voix  pleine
                                    d'inquiétude elle dit  :
                                                              - 122-
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