Page 68 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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descendant le long de la grève, de le ramener à terre avant
que ses forces fussent épuisées. Une fois sur le rivage, de
Locheill reprit aussitôt sa course vers le rocher.
Les spectateurs respirèrent à peine lorsqu'ils virent Arché
se précipiter dans les flots pour secourir Dumais qu'ils avaient
désespéré de sauver. Tout le monde connaissait la force
herculéenne de LocheiII et ses exploits aquatiques dans les
visites fréquentes qu'il faisait au seigneur de Beaumont avec
son ami Jules, pendant leurs vacances du collège. Aussi
l'anxiété avait-elle été à son comble pendant la lutte terri-
ble du jeune homme, repoussé sans cesse vers le rivage mal-
gré des efforts qui semblaient surhumains, et un cri de
douleur s'était échappé de toutes les poitrines en voyant la
défaite.
Jules d'Haberville n'avait eu aucune connaissance de cette
tentative de sauvetage de son ami de LocheilI. D'une nature
très impressionnable, il n'avait pu soutenir, à son arrivée sur
la plage, le spectacle déchirant d'une si grande infortune.
Après un seul regard empreint de la plus ineffable compas-
sion, il avait baissé les yeux vers la terre, et il ne les en avait
plus détachés. Cet homme suspendu par un fil sur ce gouf-
fre béant, ce vieux et vénérable prêtre administrant à haute
voix, sous la voûte des cieux, le sacrement de pénitence, ces
prières des agonisants adressées à Dieu pour un homme dans
toute la force de la virilité, cette sublime évocation qui
ordonne à l'âme, au nom de toutes les puissances célestes,
de se détacher d'un corps où coule avec abondance la sève
vigoureuse de la vie, tout lui semblait l'illusion d'un rêve
affreux.
Jules d'Haberville, entièrement absorbé par ces émotions
navrantes, n'avait donc eu aucune connaissance des efforts
qu'avait faits son ami pour sauver Dumais. Il avait seule-
ment entendu, après la tentative infructueuse de Locheill,
les cris lugubres de la foule qu'il avait attribués à une nou-
velle péripétie de cette scène de désolation, dont il détournait
ses regards.
Ce n'était pas un lien ordinaire entre ses amis qui l'atta-
chait à son frère par adoption; c'était cet amour de David et
de Jonathas, plus aimable, suivant l'expression emphatique
de l'Ecriture, que l'amour d'aucune femme. Jules n'épar-
gnait pas ses railleries à Arché, qui ne faisait qu'en rire; mais
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