Page 71 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 71

dans l'abîme, entraînant dans sa chute une portion du domai-
                                       ne sur lequel il avait régné en' souverain pendant des siè-
                                       cles.
                                        Ce fut alors une immense clameur sur les deux rives de
                                      la Rivière-du-Sud; acclamation triomphante des spectateurs
                                      les plus éloignés et cri déchirant d'angoisse sur la rive la
                                      plus rapprochée du théâtre où s'était joué ce drame de vie
                                       et de mort. En effet, tout avait disparu comme si la baguet-
                                       te d'un enchanteur puissant eût frappé la scène et les acteurs
                                       qui avaient inspiré un intérêt si palpItant d'émotions. Le haut
                                       de la cataracte n'offrit plus, dans toute sa largeur, entre les
                                      deux rives, que le spectacle attristant des flots pressés qui
                                      se précipitaient dans le bassin avec un bruit formidable, et
                                       le rideau d'écume blanche qui s'élevait jusqu'à son niveau.
                                        Jules d'Haberville n'avait reconnu son ami qu'au moment
                                      où il s'était précipité, pour la second~ fois, dans les flots.
                                      Souvent témoin de ses exploits natatoires, connaissant sa
                                       force prodigieuse, il n'avait d'abord montré qu'un étonnement
                                       mêlé de stupeur, mais quand il le vit disparaître sous l'eau,
                                       il poussa ce cri délirant que fait une tendre 'mère à la vue
                                       du cadavre sanglant de son fils unique; et, en proie à une
                                       douleur insensée, il allait se précipiter dans le torrent, quand
                                       il se sentit étreint par les deux bras de fer de José.
                                         Supplications, menaces, cris de rage et de désespoir, coups
                                       désespérés, morsures, tout fut inptile pour faire lâcher prise
                                       au fidèle serviteur.
                                        -  C'est bon, mon cher monsieur Jules, disait José, frap-
                                       pez, mordez, si ça vous soulage, mais au nom de Dieu, cal-
                                       mez-vous; votre ami va bientôt reparaître, vous savez qu'il
                                       plonge comme un marsouin, et qu'on ne voit jamais l'heure
                                       qu'il reparaisse, quand une fois il est sous l'eau. Calmez·
                                       vous, mon cher petit monsieur Jules, vous ne voudriez pas
                                       faire mourir ce pauvre José qui vous aime tant, qui vous
                                       a tant porté dans ses bras. Votre père m'a envoyé vous cher-
                                       cher à Québec; je réponds de vous corps et âme, et il n'y
                                       aura pas de ma faute si je manque à vous ramener vivant.
                                       Sans cela, voyez-vous, monsieur Jules, une bonne balle dans
                                       la tête du vieux José... Mais, tenez, voilà le capitaine qui
                                       baie l'amarre à force de bras; et soyez sûr que monsieur
                                       Arché est au bout et plein de vie.
                                                           -72-
   66   67   68   69   70   71   72   73   74   75   76