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file leur grand chef; en imitant avec leurs tomahawks l'ac-
                                  tion de l'aviron qui bat l'eau en cadence. Ils tournèrent long-
                                  temps en cercle en chantant un air monotone et sinistre:
                                 c'était Je départ en canot pour l'expédition projetée. Le re-
                                 frain de cette chanson, dont j'ai encore souvenance pour
                                 l'avoir souvent chanté en dansant la guerre avec les gamins
                                 de Québec, était sauf ~orrection quant à l'orthographe: c Sa-
                                 hontès!  sahontès 1 sahontès!  oniakérin  ouatchi-chicono-
                                 ouatche. ,.
                                   Enfin, à un signal de leur chef, tout rentra dans le silence,
                                 et ils parurent consulter l'horizon en flairant l'air à plusieurs
                                 reprises. Ils avaient, suivant leur expression, senti le voisinage
                                 de l'ennemi. Après avoir parcouru l'arène pendant quelques
                                 minutes en rampant à plat ventre comme des couleuvres
                                 et en avançant avec beaucoup de précautions, le principal
                                 chef poussa un hurlement épouvantable, auquel les autres
                                 firent chorus; et, se précipitant dans la foule des spectateurs
                                 en brandissant son casse-tête, il saisit un jeune homme à
                                 l'air hébété, le jeta sur son épaule, rentra dans le cercle que
                                 fermèrent aussitôt ses compagnons, l'étendit le visage contre
                                 terre, et lui posant le genou sur les reins, il fit mine de lui
                                  lever la chevelure. Le retournant ensuite brusquement, il
                                  parut lui ouvrir la poitrine avec son tomahawk, et en recueillir
                                  du sang avec sa main qu'il porta à sa bouche, comme s'il
                                  eût voulu s'en abreuver, en poussant des hurlements féroces.
                                    Les spectateurs éloignés crurent pendant un instant que la
                                  scène avait tourné au tragique, quand l'Indien, sautant sur ses
                                  pieds, poussa un cri de triomphe en agitant au-dessus de sa
                                  tête une vraie chevelure humaine teinte de vermillon, qu'il
                                  avait tirée adroitement de sa ceinture; tandis que les assistants
                                  les plus rapprochés du théâtre où se jouait le drame, s'écriè-
                                  rent, en riant aux éclats:
                                    -  c Sauve-toi, mon petit Pitre (Pierre) ! les canaouas vont
                                  t'écorcher comme une anguille! »
                                    Le petit Pitre ne se le fit pas dire deux fois; ils s'élança
                                  parmi la foule, qui lui livrait passage, et prit sa course à
                                  toutes jambes le long de la rue de la Fabrique, aux acclama-
                                  tions joyeuses du peuple, qui criait: c Sauve-toi, mon petit
                                  Pitre! ,.
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