Page 282 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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boire à la santé de leur bon père le roi George III, jusqu'~
                                  la dernière nippe des cadeaux qu'ils recevaient du gou.verne-
                                  ment; ce sentiment était sans doute très louable, maIs peu
                                  goûté des voyageurs, à la vue de leurs frêles canots d'écorce
                                  de bouleau, guidés par des hommes à moitié ivres.
                                    Ceci me rappelle une petite anecdote qui peint assez bien
                                  les mœurs de cette époque. C'était un dimanche, jour de
                                  gaîté pour toute la population sans exception de cultes.
                                  Les auberges étaient ouvertes à tout venant, et les sauvages,
                                  malgré les lois prohibitives à leur égard, avaient bu dans le
                                  courant de la matinée plus de Jorn (rhum) que de raille (lait).
                                    (Je n'ai jamais pu résoudre pourquoi ces sauvages substi-
                                  tuaient la lettre J à la lettre r dans rhum et la lettre r à
                                  la lettre J dans lait; ainsi que la lettre b à la lettre t dans
                                  frère: ils disaient le plus souvent mon brère, au lieu de
                                  mon frère. Je laisse le soin de décider cette importante
                                  question à ceux qui sont versés dans la connaissance des idio-
                                  mes indiens.)
                                    C'était donc un dimanche; plusieurs jeunes gens (et j'étais
                                  du nombre), libérés des entraves de leur bureau, devaient se
                                  réunir I"après-midi, à la basse ville, pour aller dîner à la
                                  Pointe-Lévis. Mais, lorsque j'arrivai au débarcadère avec
                                  un de mes amis, la bande joyeuse avait traversé le fleuve
                                  dans une chaloupe que le hasard leur avait procurée; c'était
                                  imprudent à eux par le vent épouvantable qu'il faisait.
                                    Le premier objet qui attira nos regards fut quatre sau-
                                  vages, à demi ivres, qui qUittaient le rivage dans une de leurs
                                  frêles embarcations. Ils étaient à peine à un arpent de dis-
                                  tance que voilà le canot renversé. Nous les vîmes aussitôt
                                  reparaître sur l'eau nageant comme des castors vers la grève
                                  où les attendaient une vingtaine de leurs amis, qui leur ten-
                                  daient des avirons pour leur aider à remonter sur un petit
                                  quai à fleur d'eau, d'où ils étaient partis quelques minutes
                                   avant leur immersion. Nous fûmes ensuite témoins d'un plai-
                                   sant spectacle: l'eau-de-vie avait sans doute attendri le cœur
                                   de ces philosophes naturels, toujours si froids, si sérieux;
                                   car les hommes et les femmes se jetèrent en pleurant, san-
                                   glotant, hurlant dans les bras des naufragés, qui, de leur
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