Page 283 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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CÔl:é, pleuraient, sanglotaient, hurlaient, et ce furent des
                                         étreintes sans fin.
                                           L'aventure de ces quatre sauvages aurait dû donner un
                                         avis salutaire du danger auquel nous serions exposés en tra-
                                         versant le fleuve par le temps qu'il faisait; mais nous étions
                                         déterminés à aller rejoindre nos amis, et rien ne nous arrêta.
                                         Le fleuve Saint-Laurent était aussi notre ami d'enfance;
                                         nOLIs avions déjà failli nous y noyer deux ou trois fois dans
                                         n011 exploits aquatiques: il ne pouvait nous être hostile dans
                                         cette circonstance.
                                           Nous décidâmes néanmoins, malgré ce beau raisonnement,
                                         qu'il serait toujours plus prudent de n'employer qu'un sau-
                                         vage sobre pour nous traverser: c'était, il faut l'avouer, rara
                                         aVIs in terra; mais, en bien cherchant, nous aperçûmes à
                                         uni~ petite distance un jeune Montagnais d'une rare beauté,
                                         d'lIne haute stature, élancé comme une flèche, qui, les bras
                                         croisés, regardait la scène qui se passait devant lui, d'un air
                                         stoïque où perçait le mépris.
                                           Nous avions enfin trouvé l'homme que nous cherchions.
                                           .- Veux-tu nous traverser, mon brère ? lui dis-je.
                                           .- Le Français, fit l'Indien, toujours grouille, toujours
                                         grouil1e; pas bon, quand vente.
                                           :\1on ami l'assura que nous étions de jeunes Français
                                         très posés, très experts dans les canots d'écorce, et qu'il
                                         gagnerait un chelin. Comme preuve de ce qu'il disait, il s'em-
                                         para aussitôt d'un aviron. Le Montagnais le regarda d'un air
                                         de mépris, lui ôta assez rudement l'aviron des mains, et
                                         nOLIs dit: «Viens. lt li fit ensuite un signe à une toute jeune
                                         femme qui nous parut d'abord peu disposée à risquer la tra-
                                         versée; elle nous regardait, en effet, d'un air assez malveil-
                                         lant pendant la discussion; mais, à un signe impératif de son
                                         mui, elle prit un aviron et s'agenouil1a en avant du canot.
                                         L'Indien fit asseoir les deux Français au milieu de l'embar-
                                         cation, et s'assit lui-même, malgré nos remontrances, sur
                                         la pince du canot.
                                            Nous étions à peine au quart de la traversée que je m'aper-
                                         çu; qu'il était ivre. Ses beaux yeux noirs, de bril1ants qu'ils
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