Page 209 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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minaient; et, pendant l'espace de six ans, jamais sourire n'ef-
                                        fleura ses lèvres. Ce ne fut que lorsque son manoir fut re-
                                        construit, et qu'une certaine aisance reparut dans le ménage,
                                        CJu'il reprit sa gaieté naturelle 1.
                                          On était au 22 février 1762; il pouvait être neuf heures
                                        du soir, lorsqu'un étranger, assez mal vêtu, entra dans le mou-
                                        lin, et demanda l'hospitalité pour la nuit. Le capitaine d'Ha-
                                        berville était assis, comme de coutume lorsqu'il n'avait rien
                                        à faire, dans un coin de la chambre, la tête basse, et absorbé
                                        dans de tristes pensées. Il faut une grande force d'âme à
                                        celui qui de l'opulence est tombé dans une misère compara-
                                        tive, pour surmonter tout ce qu'un tel état a de poignant et
                                        d'humiliant, surtout s'il est père de famille. Il lui faut un
                                        !rand courage, lorsque cette ruine, loin d'être l'œuvre de
                                        son imprévoyance, de ses goûts dispendieux, de sa prodiga-
                                        lité, de sa mauvaise conduite, provient au contraire d'événe-
                                        ments qu'il n'a pu contrôler. Dans le premier cas, les remords
                                        sont déchirants; mais l'homme sensé dit: J'ai mérité mon
                                        sort, et je dois me soumettre avec résignation aux désastres,
                                        conséquences de mes folies.
                                          Monsieur d'Haberville n'avait pas même la consolation
                                        des remords, il dévorait son chagrin; il répétait sans cesse
                                        en lui-même:
                                          -  Il me semble pourtant, ô mon Dieu 1 que je n'ai pas
                                        mérité une si grande infortune: de la force, du courage, ô mon
                                        Dieu 1 puisque vous avez appesanti votre main sur moi 1
                                          La voix d,~ l'étranger fit tressaillir le capitaine d'Haber-
                                        ville, sans qr"l pût s'en rendre raison; il fut quelque temps
                                        sans répondre, mais il lui dit enfin:
                                          -  Vous êtes le bienvenu, mon ami, vous aurez à souper
                                        et à déjeuner ici, et mon meunier vous donnera un lit dans
                                        ses appartements.

                                          1. En consignant les malheurs de ma famille, j'ai voulu don-
                                        ner une idée des désastres de la majorité de la noblesse cana-
                                        dienne, ruinée par la conquête, et dont les descendants déclassés
                                        végètent sur ce même sol que leurs ancêtres ont conquis et arrosé
                                        de leur sang. Que ceux qui les accusent de manquer de talents
                                        et d'énergie se rappellent qu'il leur était bien difficile, avec leur
                                        éducation toute militaire, de se livrer tout à coup à d'autres
                                        occupations que celles qui leur étaient familières.
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