Page 208 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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se chargea du département des vivres. Il tendait dans les bois
des collets pour prendre des lièvres et des perdrix, et sa char-
mante nièce le secondait. Elle s'était fait un costume propre
à ces exercices: elle était ravissante ainsi, avec ses habits
moitié sauvages et moitié français, son jupon de drap bleu
qui lui descendait jusqu'à mi-jambe, ses mitasses écar-
lates, ses souliers de caribou ornés de rassades et de poils de
porc-épic aux couleurs éclatantes et pittoresques. Elle était
ravissante, lorsque, montée sur ses petites raquettes, le teint
animé par l'exercice, elle arrivait à la maison avec lièvres
et perdrix. Comme les habitants, dans cette grande disette,
fréquentaient beaucoup le lac des Trois-Saumons, ils avaient
battu sur la neige un chemin durci, qui servait au chevalier
pour s'y transporter dans une traîne sauvage à l'aide d'un
gros chien: et il revenait toujours avec ample provision d'ex-
cellentes truites, et de perdrix qui fréquentaient alors les
montagnes du lac, et qu'il tuait au fusil. Ce gibier et ce pois-
son furent leur seule ressource pendant ce long hiver. La
manne de tourtes qui parut le printemps sauva la colonie:
elles étaient en si grand nombre qu'on les tuait à coups de
bâton 1,
Lorsque le capitaine d'Haberville retourna dans sa sei-
gneurie, il était complètement ruiné, n'ayant sauvé du nau-
frage que son argenterie. Il ne songea même pas à réclamer
de ses censitaires appauvris, les arrérages de rentes considé-
rables qu'ils lui devaient, mais s'empressa plutôt de leur venir
en aide en faisant reconstruire son moulin sur la rivière des
Trois-Saumons, qu'il habita même plusieurs années avec sa
famille, jusqu'à ce qu'il fût en moyens de construire un
nouveau manoir.
C'était un bien pauvre logement que trois chambres exi-
guës, réservées dans un moulin, pour la famille jadis si opu-
lente des d'Haberville 1 Cependant tous supportaient avec
courage les privations auxquelles ils étaient exposés; le ca-
pitaine d'Haberville seul, tout en travaillant avec énergie, ne
pouvait se résigner à la perte de sa fortune; les chagrins le
1. Tous les anciens habitants que j'ai connus s'accordaient à
dire que, sans cette manne de tourtes, qu'ils tuaient très souvent
à coups de bâton, ils seraient morts de faim.
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