Page 148 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Tu es le seul, mon fils, auquel j'ai communiqué l'histoire
de ma vie, tout en supprimant bien des épisodes cruels; je
connais toute la sensibilité de ton âme et je l'ai ménagée.
Mon but est rempli; allons maintenant faire un bout de veil-
lée avec mon fidèle domestique, qui sera sensible à cette
marque d'attention avant ton départ pour l'Europe.
Lorsqu'ils entrèrent dans la maison, André achevait de
préparer un lit sur un canapé, œuvre due à l'industrie com-
binée du maître et du valet. Ce meuble, dont ils étaient tous
deux très fiers, ne laissait pas d'avoir un pied un peu plus
court que ses voisins, mais c'était un petit inconvénient
auquel l'esprit ingénieux de Francœur avait remédié à l'aide
d'un mince billot.
- Ce canapé, dit le bon gentilhomme d'un air satisfait,
nous a coûté, je pense, plus de calculs à André et à moi qu'à
l'architecte Perrault, lorsqu'il construisit la colonnade du
Louvre, l'orgueil du grand Roi; mais nous en sommes venus
à bout à notre honneur: il est bien vrai qu'un des pieds
présente les armes à tout venant, mais quelle œuvre est sans
défaut? Quant à toi, mon ami Francœur, tu aurais dû te
rappeler que dans ce lit de camp devait coucher un militaire,
et laisser le pied, que tu as étayé au port d'arme.
André sans beaucoup goûter cette plaisanterie, qui froissait
un peu sa vanité d'artiste, ne put s'empêcher de rire de la
sortie de son maître.
Après une assez ll'mgue veillée, le bon gentilhomme pré-
senta à Jules un petit bougeoir d'argent d'un travail exquis.
- Voilà, mon cher enfant, tout ce que mes créanciers
m'ont laissé de mon ancienne fortune: c'était, je suppose,
pour charmer mes insomnies 1 Bonsoir, mon cher fils, on
dort bien à ton âge; aussi lorsqu'après mes prières sous la
voûte de ce grand temple qui, en annonçant la puissance et
la grandeur de Dieu, me frappe toujours de stupeur, je ren-
trerai sous mon toit, tu seras depuis longtemps dans les bras
de Morphée.
Et il l'embrassa tendrement.
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