Page 146 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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le sang d'un animal de son espèce, le cheval souffle bruyam-
                                   ment, renâcle, pousse ce hennissement lugubre qui perce
                                   l'âme, à la vue de son frère se débattant dans les douleurs
                                   de l'agonie, le chien pousse des hurlements plaintifs pen-
                                   dant la maladie de ses maîtres: J'homme, lui, suit son frère
                                   à sa dernière demeure, en chuchotant, en s'entretenant de ses
                                   affaires et d'histoires plaisantes,
                                     Lève la tête bien haut dans ta superbe, ô maître de la
                                   création! tu en as le droit. Lève ta tête altière vers le ciel,
                                   ô homme! dont le cœur est aussi froid que J'or que tu palpes
                                   jour et nuit. Jette la boue à pleines mains à l'homme au
                                   cœur chaud, aux passions ardentes, au sang brûlant comme
                                   le vitriol, qui a failli dans sa jeunesse, Lève la tête bien
                                   haut, orgueilleux Pharisien, et dis: Moi, je n'ai jamais failli.
                                   Moins indulgent que le divin Maître que tu prétends servir,
                                   qui pardonne au pécheur repentant, ne tiens aucun compte
                                   des souffrances, des angoisses qui dessèchent le cœur com-
                                   me le vent brûlant du désert, des remords dévorants qui,
                                   après cinquante ans de stricte probité, rongent encore le
                                   cœur de celui que la fougue des passions a emporté dans sa
                                   jeunesse, et dis: Moi, je n'ai jamais failli!
                                     Le bon gentilhomme se pressa la poitrine à deux mains,
                                   garda pendant quelque temps le silence et s'écria:
                                     -  Pardonne-moi, mon fils, si, emporté par Je souvenir
                                   de tant de souffrances, j'ai exhalé mes plaintes dans toute
                                   l'amertume de mon cœur. Ce ne fut que le septième jour
                                   après J'arrivée de ses amis, que ce grand poète arabe, Job,
                                   le chantre de tant de douleurs, poussa ce cri déchirant:
                                   Pereat dies in qua na/us sum! Moi, mon fils, j'ai refoulé
                                   mes plaintes dans le fond de mon cœur pendant cinquante
                                   ans; pardonne-moi donc si j'ai parlé dans toute l'amertume
                                   de mon âme; si, aigri par le chagrin, j'ai calomnié tous les
                                   hommes, car il y a de nobles exceptions.
                                     Comme j'avais fait à mes créanciers, depuis longtemps,
                                   l'abandon de tout ce que je possédais, que tous mes meubles
                                   et immeubles avaient été vendus à leur bénéfice, je présentai
                                   au roi supplique sur supplique pour obtenir mon élargisse-
                                   ment après quatre ans de réclusion. Les ministres furent bien
                                   d'opinion que, tout considéré, j'avais assez souffert, mais il
                                   s'élevait une grande difficulté, et la voici: quand un débi-
                                   teur a fait un abandon franc et honnête de tout ce qu'il
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