Page 143 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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dans nos familles), le sauvage lui est bien supérieur. En voi-
ci un exemple assez amusant. Un Iroquois contemplait, il y
a quelques années, à New-York, un vaste édifice d'assez
sinistre apparence; ses hauts murs, ses fenêtres grillées l'in-
triguaient beaucoup: c'était une prison. Arrive un magis-
trat.
- Le visage pâle veut-il dire à son frère, fit l'Indien, à
quoi sert ce grand wigwam?
Le citadin se rengorge et répond d'un ton important:
- C'est là qu'on renferme les peaux-rouges qui refusent
de livrer les peaux de castor qu'ils doivent aux marchands.
L'Iroquois examine l'édifice avec un intérêt toujours crois-
sant, en fait le tour, et demande à être introduit dans l'inté·
rieur de ce wigwam merveilleux. Le magistrat, qui était aussi
marchand, se donne bien garde de refuser, espérant inspirer
une terreur salutaire aux autres sauvages, auxquels celui-ci
ne manquerait pas de raconter les moyens spirituels, autant
qu'ingénieux, qu'ont les visages pâles pour obliger les peaux-
rouges à payer leurs dettes.
L'Iroquois visite tout l'édifice avec le soin le plus minu-
tieux, descend dans les cachots, sonde les puits, prête l'oreille
aux moindres bruits qu'il entend, et finit par dire en riant aux
éclats:
- Mais sauvages pas capables de prendre castors ici 1
L'Indien, dans cinq minutes, donna la solution d'un pro-
blème que l'homme civilisé n'a pas encore eu le bon sens,
le gros sens commun de résoudre après des siècles d'études.
Cet homme si simple, si ignorant, ne pouvant croire à autant
de bêtise de la part d'une nation civilisée, dont il admirait
les vastes inventions, avait cru tout bonnement qu'on avait
pratiqué des canaux souterrains, communiquant avec les ri-
vières et les lacs les plus riches en castors, et qu'on y enfer-
mait les sauvages pour leur faciliter la chasse de ces pré-
cieux amphibies, afin de s'acquitter plus vite envers leurs
créanciers. Ces murs, ces grillages en fer lui avaient semblé
autant de barrières que nécessitait la prudence pour garder ces
trésors.
Tu comprends, Jules, que je ne vais te parler maintenant
que dans l'intérêt du creancier qui inspire seul la sympa-
thie, la pitié, et non dans celui du débiteur, qui, après avoir
erré tout le jour, l'image de la défiance craiDtive sans cesse
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