Page 145 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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à l'homme! il ne d.évore que quand il a faim: une fois repu,
                                        il est généreux en l'erS le~ êtres fai~les qu'il rencontre sur sa
                                        route.
                                          Après tant d'épreuves, après cette inquiétude fébrile, après
                                        ce dernier râle de l'homme naguère libre, j'éprouvai, sous
                                        les verrous, le calme d'un homme qui, cramponné aux ma-
                                        nœuvres d'un vaisseau pendant un affreux ouragan, ne res-
                                        sent plus que les dernières secousses des vagues après la tem-
                                        pête; car, à part les innombrables tracasseries et humiliations
                                        de la captivité, à part ce que je ressentais de douleur pour
                                        ma famille désolée, j'étais certainement moins malheureux:
                                        je croyais avoir absorbé la dernière goutte de fiel de ce vase
                                        de douleur que la malice des hommes tient sans cesse en
                                       réserve pour les lèvres fiévreuses de ses frères. Je comptais
                                        sans la main de Dieu appesantie sur l'insensé, architecte
                                        de son propre malheur! Deux de mes enfants tombèrent si
                                        dangereusement malades, à deux époques différentes, que
                                       les médecins, désespérant de leur vie, m'annonçaient chaque
                                        jour leur fin prochaine. C'est alors, ô mon fils ! que je res-
                                       sentis toute la lourdeur de mes chaînes. C'est alors que
                                        je pus m'écrier comme la mère du Christ: "Approchez et
                                       voyez s'il est douleur comparable à la mienne! lt Je savais
                                        mes enfants moribonds, et je n'en étais séparé que par la lar-
                                       geur d'une rue. Je voyais, pendant de longues nuits sans
                                       sommeil, le mouvement qui se faisait auprès de leur cou-
                                       che, les lumières errer d'une chambre à l'autre; je tremblais
                                       à chaque instant de voir disparaître ces signes de vie qui
                                       m'annonçaient que mes enfants requéraient encore les soins
                                       de l'amour maternel. J'ai honte de l'avouer, mon fils, mais
                                       j'étais souvent en proie à un tel désespoir que je fus cent
                                       fois tenté de me briser la tête contre les barreaux de ma
                                        chambre. Savoir mes enfants sur leur lit de mort, et ne pou-
                                       voir voler à leur secours, les bénir et les presser dans mes
                                        bras pour la dernière fois!
                                         Et cependant mon persécuteur connaissait tout ce qui. se
                                       passait dans ma famille, il le savait comme moi. Mais la pitié
                                       est donc morte au cœur de l'homme, pour se réfugier dans
                                       le cœur, j'allais dire dans l'âme de l'animal privé de raison!
                                       L'agneau bêle tristement lorsqu'on égorge un de ses compa-
                                       gnons, le bœuf mugit de rage et de douleur lorsqu'il flaire
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