Page 102 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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LES ANCIENS CANADIENS                                 103

            Mon avenir éranr brisé comme mon pauvre coeur, je n'ai fait
          que végéter depuis, sans profit pour moi ni pour les autres.
          Mais vois, mon fils, la fatalité qui me poursuivait.  Lorsque
          je fis abandon de mes biens à mes créanciers, je leur demandai
          en grâce de me laisser jouir d'un immeuble de peu de valeur
          alors, mais que je prévoyais devoir être d'un grand rapport par
          la suite, leur prometrant d'employer toutes mes forces momIes
          et physiques pour l'exploiter à leur profit.  On me rit au nez,
          comme de raison, car il y avait castor à prendre là.  Eh bien!
          Jules, cerre même propriété dont la vence couvrit à peine alors
          les frais de la procédure, se vendit, au bout de dix ans, un prix
          énorme qui aurait soldé toutes mes derres et au delà, car on
          s'érait plu comme de droit à en exagérer le montant dans les
          journaux et partout; mais j'étais si affaissé, si abattu sous le
          poids de ma disgrâce, que je n'eus pas même le courage de
          réclamer cancre cerre injustice.  Lorsque, plus calme, j'établis
          un état exact de mes dettes, je n'étais passif que d'un peu plus
          du tiers de l'état fabuleux qu'on avait publié.
            L'Europe était trop peuplée pour moi: je m'embarquai pour
          la Nouvelle-France avec mon fidèle André, et je choisis ce lieu
          salmaire, où je vivrais heureux.
            André, sans beaucoup goûtet cette plaisanterie, qui froissair
          un peu sa vanité d'artiste, ne put s'empêcher de rire de la sortie
          de son maître.
            Après une assez longue veillée, le bon gentilhomme présenta
          à Jules un petit bougeoir d'argent d'un travail exquis.
            - Voilà, mon cher enfant, tout ce que mes créanciers m'ont
          laissé de mon ancienne fortune: c'était, je suppose, pour char-
          mer mes insomnies!  Bonsoir, mon cher fils, on dore bien à ton
          âge; aussi lorsqu'après mes prières sous la voûte de ce grand
          temple qui, en annonçant la puissance et la grandeur de Dieu,
          me frappe toujours de stupeur, je rentrerai sous mon toit, tu
          seras depuis longtemps dans les bras de Morphée.
            Et il l'embrassa tendrement.
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