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98 LES ANCIENS CANADIENS
auxquels j'avais prêté, sans reconnaissance par écrit de leur
patt, avaient même oublié ma créance. Ceux dont j'avais les
billets me dirent que c'était peu généreux de les prendre au
dépourvu; qu'ils n'auraient jamais attendu cela d'un ami. Le
plus grand nombre, qui avaient eu des transactions à mon
bureau, prétendirent effrontément que j'étais leur débiteur.
Ils avaient raison, je leur devais une bagatelle; mais eux me
devaient des sommes considérables. Je leur demandai à régler;
on me le promit, mais on n'en fit rien: on se plut, au contraire,
à saper mon crédit en publiant que j'étais ruiné et que j'avais
le front de réclamer des dettes imaginaires. On fit plus: on
me tourna en ridicule en disant que j'étais un fou prodigue.
Un d'eux, farceur quand même, qui dix-huit mois auparavant
n'avait conservé une place qu'il devait perdre pour abus de
confiance, que par les secours pécuniaires que je lui donnai et
dont le secret mourra dans mon cœur, fut intarissable de verve
satirique à mes dépens; ses plaisanteries eurent un succès fou
parmi mes anciens amis. Ce dernier traie d'ingratitude m'ac-
cabla.
Un seul, oui un seul, et celui·là n'était qu'une simple con-
naissance que j'avais rencontrée quelquefois en société, ayant eu
vent de la ruine qui me menaçait, s'empressa de me dire:
-Nous avons eu des affaires ensemble: voici, je crois, la
balance qui vous revient; compulsez vos livres pour voir si
c'est correcr.
Il est mort depuis longtemps; honneur à sa mémoire! et que
les bénédicrions d'un vieillard profitent à ses enfants.
le temps pressair, comme je l'ai dit, et quand bien même
j'aurais eu le cœur de faire des poursuites, rien ne pouvait me
sauver. Ajoutons les intrigues d'amis et d'ennemis pour profi-
ter de mes dépouilles, et il est aisé de pressentir qu'il me faUait
succomber; je baissai la tête sans faire face à l'orage et je me
résignai.