Page 37 - La Société canadienne d'histoire de l'Église catholique - Rapport 1961
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Une femme a passé. . .


                                   Au  pays  de Laurentie une femme  a pas&,  et  sur son  chemin elle  a
                               prêté  son  bras  à  l'aveugle,  recueilli  sur  son  cœur  l'enfant  abandonné,
                               recouvert  de son  manteau  le  pitoyable  dément;  elle  a  partagé  son  pain
                               avec  l'indigent,  même  avec  le  farouche  Iroquois;  elle  a  pansé  le  soldat
                               blessé  et  abrité le  vieillard;  une  femme  au  grand  cœur  a  passé. . . elle
                               s'appelait  Marguerite  d'youville.
                                   Marguerite  est  née  à  Varennes,  en  Québec,  le 15 octobre  1701 du
                               mariage  de  sieur  Christophe  du  Frost  de  la  Gesmerays,  gentilhomme
                               de vieille  nobiesse bretonne,  capitaine dans les  troupes  du  Détachement
                               de  la  Marine,  et  de  Marie-Renée  GauItier  de  Varennee,  fille  du  sei-
                               gneur  de Varennes  et  gouverneur  de Trois-Rivièrea.
                                   En  1701 la  seigneurie  de Varennes  comptait  tout  juste  une  quin-
                               zaine  (le  familles  dispersées  sur  les  concesaions  à  peine  défrichéea.
                               L'eniance  de Marguerite  s'écoula  dans  le  fort  de Varennes  où  se  trou-
                               vaient,  enclos de      l'église,  le  presbytère,  le  manoir,  le mouiin
                               à vent,  et  l'humble  maison  de bois rond  de seize pieds  en  carré où  elle
                               était  née  et  dont  il  ne  reste  aucun  vatige.  Le  moulin  à  vent  avec  ses
                               grandm  ailea  tournantes  dans  le  ciel  bIeu,  les  virevoltes  des  mouettes
                               au-dasus  du  fleuve  qui  bornait  son  horizon  fleurissaient  de  poéeie
                               l'âme  neuve  de Ia  bambine.  Elle  n'avait  pour  toute  distraction  que les
                               remuements  autour  du  moulin  à  eent  verges  du  jardin  paternel,  le
                               va-et-vient du  meunier  enfariné  et  des  censitaires  chargk  de  sacs  de
                               mouture.  C'est  dans  ce milieu  pastoral  que grandissait la  fillette quand
                               la  mort  vint  en  détruire  l'harmonie  en  emportant  monsieur  de  la  Ges-
                               merays,  en pleine maturité,  le 1"' juin  1708. L'acte de sépulture  de cette
                               date  ne  spécifie pas  s'il  est  décédé  ce  jour-là  ou  la  veille.
                                   Les  appointements  d'un  capitaine  des  troupes  sous  le  régime  fran-
                               çais suffisaient à peine aux besoins  d'un  jeune  ménage,  aussi madame  de
                               la Gesmerays  se trouva-t-elle dépourvue  à  la  mort  de  son  mari.  Certain
                               poète i'a  fort  bien  dit : r Tout  est  peine et  misère  aux  pauvres  gens. n
                               Dès  l'âge  de  sept  ans  Marguerite  connut  la  kyrieile  des  mille  et  une
                               petites  privations  qu'engendre  la  gêne,  ee  qui en  fit  une  fillette  préco-
                               cement  sérieuse  au  dire de  l'annaliste  des  Ursulines,  ear madamc  rlc  la
                               Gesmerays,  grPce  au  jeu  des  alliances,  obtint  l'admission  de  sa  fille
                               au  pensionnat  des  Ursulines  de  Québec  où  passait  i'élite  des  jeunes
                               eaiiadiennes.
                                   Après  doiize ans  de veuvage,  madame  de la  Gesmerays  convola  en
                               secondes  noces  et  Ia  famille  vint  habiter  à  Montréal.  A  dix-huit  ans
                               Marguerite  s'épanouissait  en  beauté,  son  file  le  biographe,  nous  dit
                                qu'elle  émit  une  des  beb~ personnes  de  son  temps.  Cétaib  me
                               brune  ciafre, ayant  beaucoup de couleur,  un œil  vil  et  priant,  ious  les
                               traits  du visage  jort  réguliers,  d'me  gmnde  taille,  et  ayant  un  air /or6
                               gracieux. s  Au  sujet  de  sa  taille  nous  avons  une  précision.  Lors  de
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