Page 88 - monseigneur
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quelque chose en retour! Arthur ne ressemblait pas aux
                            autres Morvan; il était noir, pas joli. Si ma grand-mère avait
                            été volage, nous aurions eu des doutes, étant dans le voisinage
                            des sauvages !...
                                Geneviève est arrivée chez nous presque en même temps
                            que mon frère aîné. Nous l'avons toujours appelée Gengneu-
                            ve. Nous l'aimions bien et je pense qu'elle a été heureuse avec
                            nous. Sans être esclave, elle vivait comme une esclave, faisant
                            ce que ma mère lui demandait, ayant soin des enfants qu'elle
                            aimait, surveillant le feu et la cuisson des repas, aidant à la
                            vaisselle, épluchant les patates, etc. Ça permettait à ma mère
                            d'aller donner un coup de main aux hommes dans le temps des
                            foins, de faire le jardin, de travailler au métier et de préparer
                            les repas pour toute cette maisonnée affamée, en bon appétit.
                                Quand j'ai connu mon grand-père, il avait déjà une grande
                            barbe blanche. Il avait les yeux bleus et était assez gros.
                            C'était un bon vieux pépère, que nous aimions bien. Il souriait
                            toujours, mais je ne l'ai jamais entendu rire aux éclats. Il se
                            fâchait rarement et il disait: « Morné de morné! »; c'était ses
                            plus gros mots. Mon père, lui, se permettait de dire: «Ver-
                            rat! », quand ça n'allait pas. Personne ne sacrait dans la
                            famille. Mon grand-père était très considéré de ses conci-
                            toyens. Il avait un bon jugement et était ce qu'il y avait de plus
                            honnête. Quand il y avait un litige à propos de séparation de
                            terrains, on venait chercher mon grand-père et celui-ci trou-
                            vait toujours l'endroit où était la borne. Il était le témoin des
                            morceaux de vaisselle cassée (sous les piquets de bornes qui
                            risquaient de pourrir, on déposait quelques pièces de vaisselle
                            cassée). On se fiait à lui. Ça n'allait pas plus loin.
                                Ma grand-mère avait les yeux noirs et pétillants. EUe
                            était joyeuse. Elle portait toujours un bonnet blanc empesé,
                            avec de la dentelle autour. C'était deux beaux vieux. Mes
                            grands-parents se tenaient dans la cuisine selon que nous
                            étions dans l'allonge ou la grand-maison. Après les repas, ils


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