Page 85 - monseigneur
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changions de siècle... Etions-nous dans le dix-neuvième ou le
                                 vingtième? Nos grands-parents ont bi..n discuté à ce sujet!
                                    À Noël, ce n'était pas encore la mode des arbres de Noël
                                 (avec quoi les aurions-nous garnis ?). Nous accrochions nos
                                 bas après une tablette, en arrière du gros poêle. Nous avions
                                 hâte au matin pour vider ces bas qui contenaient toujours à
                                 peu près la même chose partout: une orange (elles étaient
                                 rares et les marchands n'en avaient qu'à cette occasion), une
                                 pomme, des petits cc.nards en candy, des bâtons en couleurs
                                 comme les enseignes de barbier, et des bonbons mélangés.
                                 Nos bas étaient pas mal pleins et nous passions un beau jour
                                 de Noël! Naturellement, c'était l'Enfant-Jésus qui nous
                                 apportait ça. Le père Noël, il n'en était pas question, il n'était
                                 pas encore inventé. Au Jour de l'An, se donnaient des étren-
                                 nes. Encore des bonbons, quelquefois des jouets faits à la
                                 maison, ou une musique à bouche et encore une robe neuve.
                                 Tout nous causait du plaisir. Et puis, il y avait la bénédiction
                                 paternelle. Les premières années où mes jeunes tantes étaient
                                 mariées, elles se faisaient un devoir de venir, même de loin, en
                                 voiture avec de jeunes enfants, demander leur bénédiction à
                                 mon grand-père. Ça se demandait à genoux et en entrant,
                                 comme dans la chanson. Elles ôtaient leurs manteaux, leurs
                                 châles, leurs pardessus et le reste seulement après la bénédic-
                                 tion. Nous, quand nous avons été assez grands, c'est mon frère
                                 aîné, Séraphin, qui descendait l'escalier le premier et deman-
                                 dait la bénédiction. Nous suivions, chacun notre tour. Ce qui
                                 nous déplaisait, c'est que notre voisin, Henri Lagotte, était
                                 déjà rendu chez nous pour saluer la nouvelle année et nous
                                 étions obligés de nous exécuter devantui. Au lieu de lui
                                 souhaiter une bonne année, nous l'aurions envoyé chez le
                                 diable, si ç'avait été possible! Il ne s'est pas dompté, c'était la
                                 même chose tous les ans. Mon père demandait la bénédiction
                                 à son père aussi, mais ça se faisait en particulier!




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