Page 86 - monseigneur
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Chapitre 5
Souvenirs d'enfance
Je suis née un vingt mars, à l'arrivée du printemps 1890, au
commencement des sucres. Ce jour-là, mon père et mon
grand-père étaient à entailler les plaines. Mon frère aîné, qui
devait avoir sept ans, est allé au bois dire à mon père qu'il y
avait une belle petite fille d'arrivée à la maison! C'est mon
frère qui me racontait ça et je l'ai cru. Je n'ai pas beaucoup de
mémoire et je ne suis pas remarqueuse non plus... Je n'ai pas
dû prendre connaissance des choses avant l'âge de cinq ans.
Mon père, qui n'était pas l'aîné de sa famille, a pourtant
hérité de la terre paternelle. Je ne sais pourquoi. L'aîné n'a
peut-être pas voulu de cette succession? Mon grand-père
n'avait que 59 ans lorsqu'il s'est donné (a fait cession de ses
biens moyennant logement, vêtements, nourriture et soins), et
à part la terre qui n'était pas riche, ['héritier devait faire ins-
truire deux filles qui étaient encore jeunes (douze et quatorze
ans), en plus de deux garçons de onze et neuf ans, les plus
jeunes de ses frères.
Mon père prenait donc en donation une famille de six, plus
lui et ma mère, ce qui faisait huit personnes. Ça prenait un
couple hasardeux pour accepter un marché semblable. C'est
probablement la raison qui a décidé le plus vieux d'aller faire
sa vie ailleurs.
Ma mère avait une très bonne santé. Mon père était assez
gros et grand, mais asthmatique; pour un habitant exposé à
toutes les températures, ce n'était pas bien recommandable.
Mon grand-père, qui était travaillant et très capable encore, a
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