Page 79 - monseigneur
P. 79

«Endure, mon frère, c'est encore trop doux pour toi! » Le
                                 père Villeneuve, oblat, qui était devenu cardinal, est venu
                                  présider la cérémonie à Saint-François quand Gabriel a été
                                 reçu père oblat en 1925. Ma mère, qui l'avait déjà rencontré,
                                  lui avait dit: «Vous viendrez me voir chez nous quand vous
                                 passerez à Saint-François! »C'est ce qu'il a fait. La maison
                                 paternelle a eu l'honneur de la visite d'un cardinal. Comment
                                  n'être pas orgueilleux d'être des Morvan!
                                     Comme benjamin de la famille, Gabriel a été gâté par ma
                                  soeur de quatorze ans, qui était sa marraine et aimait pas-
                                  sionnément les enfa:1ts. U pton (mon futur mari), qui passait
                                  ses veillées presque toujours chez nous (il ne devait pas avoir
                                  de blonde, dans le temps), s'amusait à le taquiner, à lui
                                  chatouiller les orteils. Il en a reçu, des apostrophes comme:
                                  «Vlimeux (sacré) de Maher, achalant », et autres choses...
                                  Finalement, Gabriel démissionnait en bougonnant et montait
                                  se coucher.
                                     Nous avions souvent de la visite et mon grand-père était
                                  hospitalier. Outre la visite des parents (c'était la maison pater-
                                  nelle), nous logions tous les quêteux qui passaient et il y en
                                  avait beaucoup dans ce temps-là. Les gens du haut du rang
                                  leur disaient: <<Allez à la grand-maison blanche, on va vous
                                  loger. » C'était à peu près toujours les mêmes quêteux, du
                                  bon monde. Mon père étendait la robe de carriole dans la
                                  cuisine, près du poêle; le quêteux dormait comme un moine.
                                  Nous avions toujours un bon chien qui couchait dans la cui-
                                  sine aussi. Ça faisait bon ménage! Mon père, qui aimait
                                  bien le plaisir, rire et taquiner, faisait raconter leur vie à ces
                                  vieux. Il y en avait un qui venait tous les ans. S'il retardait,
                                  nous disions: «Le quêteux de Sainte-Croix (Lotbinière)
                                  doit être à la veille de passer. » Ça ne manquait pas, il nous
                                  arrivait comme s'il avait été de la famille. Le rang ne débou-
                                  chant pas, les quêteux ou les autres passants devaient revenir
                                  sur leurs pas. C'est pourquoi ils étaient obligés de coucher,


                                                                84
   74   75   76   77   78   79   80   81   82   83   84