Page 74 - monseigneur
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Famille, celle de saint Antoine-de-Padoue, entourés de tous
                             les miracles qu'il avait faits. Nous les savions tous par coeur.
                             S'il arrivait des veil1eux, ils envoyaient leurs casques dans le
                             bas de l'escalier, et à genoux, comme nous autres! Pas de
                             rouspétage ! C'est mon père qui disait le chapelet et il n'exa-
                             gérait pas (n'allongeait pas par des prières spéciales), surtout
                             quand il y avait d'autre monde. Ma mère n'avait pas souvent
                             le temps de se mettre à genoux. Il fallait qu'eUe débarrasse la
                             table et qu'elle lave la vaisselle. Ensuite, les cartes se sortaient
                             et ça jouait au whist; mes grands-parents aimaient ça et mon
                             père aussi. Ça dépendait des veilleux ! Il y avait surtout le
                             bonhomme Tremé Desmarais. Il bégayait et il était ambi-
                             tieux. La table était solide, car elle en a attrapé, des coups!
                             Là, il y avait des «T'aurais dû ! », «Pourquoi t'as pas mis ton
                             as? », «T'aurais dû le voir venir! ». D'autres jouaient aux
                             dames. Les curieux surveillaient tout, autour du damier. Il y
                             avait de bons joueurs. Quand il y avait des jeunes, ça tirait au
                             poignet et à la jambette. La cuisine était grande et ce n'était
                             pas gênant. Il y avait un autre jeu aussi: les deux joueurs, à
                             genoux et face à face, avaient autour du cou un rouleau de
                             toile pour s'essuyer les mains. Ils tiraient tous deux et c'est à
                             qui l'emporterait sur l'autre. Les veillées passaient, personne
                             ne s'ennuyait.
                                 Ma mère et ma grand-mère tricotaient à la lumière d'une
                             grosse lampe à l'huile. Une autre, plus petite, servait aux
                             joueurs. Les veilleux arrivaient de bonne heure, mais ils par-
                             taient de bonne heure aussi; 9 heures et demie ou 10 heures,
                             c'était l'heure du coucher. Ces veillées se passaient l'hiver. Ce
                             que nous aimions, c'était quand le père Maxime Maclure
                             venait nous faire une veillée de contes. C'était un raconteur de
                             première classe, avec la pose, les gestes et tout! C'était La
                             Lampe d'Aladin, Scheherazade, Les Sept Voyages de
                             Sindbad le marin. Dans les autres contes ordinaires, le héros
                             s'appelait toujours Ti-Jean. Nous n'avions ni les oreilles ni les


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