Page 75 - monseigneur
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yeux assez grands pour écouter. Ça prenait plusieurs soirs
                                 pour terminer ces contes. Nous avions hâte à la prochaine
                                 veillée. Ces MacIure n'avaient pas d'enfant. Ils avaient adopté
                                 un neveu qui en a eu douze! Le père Maxime appelait sa
                                 femme « ma soie grise» ou Madeleine. Je ne sais si c'était son
                                 vraI nom.
                                     Le premier et le euxième voisins étaient des amateurs de
                                 femmes! Ma mère me racontait que, quand elle s'est mariée,
                                 mon père, qui aimait le plaisir, les chansons, les histoires et la
                                 danse, a continué d'aller aux veillées qui se faisaient dans Je
                                 rang. Ma mère, qui devait rester à la maison, toujours occu-
                                 pée et, de plus, étrangère, car elle venait d'Yamaska, devait
                                 recevoir les veilleux ; et ces voisins venaient faire un tour. Ma
                                 mère avait une belle façon, mais elle ne tenait pas à entretenir
                                 une conversation une veillée de temps avec l'un ou l'autre.
                                 Aussi, a-t-elle posé un ultimatum à mon père: «T'es-tu marié
                                 pour continuer à faire ta vie de garçon et moi veiller avec t~s
                                 voisins? » Mon père, qui n'en pensait pas plus long, car
                                 c'était le meilleur homme du monde, a terminé ses sorties
                                 «dret » là (immédiatement). D'ailleurs, ma mère était assez
                                 intéressante pour le tenir occupé !

                                    Chez nous, mon frère aîné, Séraphin, était allé travailler
                                 aux États, à la brique (dans une briquerie), un ou deux étés
                                 avant d'apprendre le métier de fromager lui aussi. Il fréquen-
                                 tait notre voisine de l'île Saint-Jean, Elmire Forcier (devenue
                                 ma belle-soeur), qui était notre grande amie. Quand elle est
                                 revenue du couvent d'Ottawa, à dix-huit ans, ma soeur
                                 Stéphanie en avait dix-sept,je pense. Elles sortaient ensemble,
                                 mais moi, de quatre ans plus jeune, je commençais à vouloir
                                 les suivre. Ma soeur ne voulait pas toujours et ma future
                                 belle-soeur me trouvait bien jeune pour sortir avec elles!
                                 Cependant, mon caractère s'accordait bien mieux avec celui
                                 d'Elmire qu'avec celui de ma soeur.


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