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SECTION SPÉCIALE : LES CONTES ET LÉGENDES DE L’ONTARIO FRANÇAIS



            Quelques extraits du témoignage radio en 1995.

            Le père Lemieux se raconte :




            Les « chevaux du père Lemieux »                      « Sortir du livre » par la tradition orale


            En 1941, on m’a nommé au Collège du Sacré-Cœur       En versification au collège de Gaspé, nous avions au
            pour diriger la chorale et être titulaire du cours de   programme les institutions grecques et latines et c’était
            versification .                                      évident que le professeur n’était pas très compétent
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                                                                 là-dedans. On rencontrait les mêmes phénomènes
            Dans ma classe, j’avais des jeunes qui étaient un    puis les mêmes personnages que dans les contes que
            peu durs et que les autres classes qualifiaient des   j’avais entendus à l’âge de six, sept, huit ans. Pendant
            chevaux du père Lemieux parce que, dès qu’il y avait   notre cours classique, les jésuites qui nous enseignaient
            un mauvais coup de fait au dortoir, au réfectoire    étaient tous des gens de la ville qui n’étaient pas au
            ou en récréation, c’étaient toujours mes chevaux qui   courant du tout de la tradition orale. Et je m’étais
            étaient punis. C’est parce qu’ils étaient durs un peu,   aperçu que, dès qu’on voulait glisser quelque
            durs d’oreille et durs de bride; ils n’écoutaient pas   chose de tradition orale, c’était mal vu. Alors ça me
            facilement et ils avaient un esprit de clan. C’était   posait des points d’interrogation; je me disais : il y a
            difficile et il fallait trouver une sortie pour les avoir   probablement quelque chose de riche là-dedans qu’on
            de mon côté.                                         pourrait exploiter, même pendant le cours classique.

            Alors, je leur ai proposé : « Vous avez des bonnes   En 1941, à Sudbury, j’avais au programme les
            voix, vous chantez bien, pourquoi ne pas se former   institutions grecques et latines. Alors, je me suis dit :
            une chorale? Je suis tanné, fatigué, moi, d’entendre   « J’ai le même programme, mais il ne faut pas que je
            les autres classes vous qualifier de chevaux du père   sois aussi plat que ce professeur-là ». C’est pour ça que
            Lemieux. Pourquoi ne pas trouver un autre moyen      j’ai pensé d’introduire la tradition orale là-dedans. Je
            pour s’illustrer d’une façon différente? Je vous     connaissais des contes et, au lieu de parler d’Ulysse
            propose non seulement une chorale, mais de vous      puis du cyclope Polyphème, je parlais de Ti-Jean
            apprendre à lire la musique. Je vous donne une       poilu qui avait crevé l’œil du géant Rien-qu’un-œil. Je
            journée pour vous décider. Vous viendrez me voir ».   disais : « Regardez Hercule qui était allé nettoyer les
            Alors, le président de classe est venu me voir puis   écuries d’Augias; Ti-Jean a fait la même chose. C’était
            il dit : « Très bien, on va accepter de former une   exactement les mêmes scènes. Alors je leur montrais
            chorale ». J’ai dit : « Dites-vous bien que, moi, j’ai   ça. C’est comme ça que j’ai tâché d’améliorer ce que
            mes exigences de mon côté; quand on dira qu’il y     j’avais reçu en versification de mon professeur.
            a un exercice, il faudra que tout le monde y soit ».
            Plutôt que de donner entre deux classes de suite     Les élèves étaient très intéressés. Je voyais cela dans
            le Deo gratias [pause], j’ai dit : « On va chanter   leur figure, ils tendaient le cou dès que je contais une
            nous autres en classe, de temps en temps, ce         histoire. Je m’apercevais, quand je les questionnais
            cinq minutes-là » – parfois ça allait à dix minutes.  sur les institutions grecques et latines, qu’ils avaient
                                                                 retenu exactement l’histoire, le parallèle entre Hercule
            Alors je les ai mis dans une classe un peu en dehors   par exemple et Ti-Jean poilu ou un autre. Je me disais :
            du collège et puis on s’est lancé là-dedans. Ç’a     « Ils ont compris et ils aiment ça ». La classe d’ensuite,
            été passablement bien. Dès qu’on a commencé à        je leur en servais une autre portion. Comme ça, je me
            chanter, les gens nous ont respectés. C’est comme    suis aperçu que ces gens-là étaient sympathiques à la
            ça que j’ai eu ces gars-là, je pouvais leur faire faire   tradition orale et au conte oral.
            n’importe quoi. La plus grosse punition que j’ai
            trouvée, c’était de supprimer le chant pendant       Ça donnait une occasion de sortir du livre qu’on avait
            deux jours. J’avais ce que je voulais. C’est comme ça   en main et puis de montrer qu’on n’avait pas inventé
            que je m’en suis tiré.                               ça. Alors, petit à petit, je passais de la tradition orale de
                                                                 nos anciens pour étoffer mes cours.
            7  Ce qui correspond à la 11  année aujourd’hui.
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                                                                                                LE CHAÎNON, ÉTÉ 2021  13
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