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SECTION SPÉCIALE : LES CONTES ET LÉGENDES DE L’ONTARIO FRANÇAIS

de la confidence, l’octogénaire soupèse les aléas d’une advenir une véritable université franco-ontarienne,
carrière entreprise un demi-siècle plus tôt. Il balise son de son vivant ou « dans vingt-cinq ans », confiait-il
récit d’éléments inédits, notamment sur ses origines en 1995, qui serait le lieu idéal d’accueil et de mise
et sa formation, qui éclairent les dessous de l’œuvre en valeur du patrimoine recueilli par lui-même et la
et révèlent les traits de sa personnalité. Volontaire, il a petite équipe qui a pris sa relève. Il l’appelait même de
su tracer sa voie et développer une expertise originale tous ses vœux, jugeant qu’elle parachèverait le travail
en dépit de moyens limités et des contraintes de son accompli par les Jésuites, eux qui avaient établi le
état. Ce document à l’allure intime constitue une Collège du Sacré-Cœur en 1913. Dans l’enthousiasme
source féconde, autant pour la compréhension de de la création du Collège Boréal en 1995, il confiait
e
l’Ontario français et de son histoire au XX siècle que en entrevue : « Ce serait mon plus grand désir et
pour l’institution du patrimoine oral que l’ethnologue le couronnement de ma carrière ». Aussi, verrait-il
a incarnée presque seul avant les années 1980. En comme une « bénédiction » la création en 2018 de
faisant le bilan de son activité incomparable, Germain l’Université de l’Ontario français, et combien plus le
Lemieux y mêle un peu de son testament intellectuel. retour aussi soudain qu’inespéré de l’Université de
Sudbury à sa vocation franco-ontarienne.
Le parcours original d’un religieux enseignant
Jeune enseignant, le père Germain Lemieux est Le père Lemieux attendant
plongé dans la francophonie sudburoise qui, sous l’autobus sur la route 17. La
plusieurs aspects, lui rappelle sa Gaspésie natale. Par photo a été prise en 1998 pour
souligner le cinquantenaire de
son inventivité, il parvient à gérer une classe difficile, sa première enquête à Verner
surnommée « les chevaux du père Lemieux », puis, en et montrer le lourd équipement
véritable pédagogue, à motiver ses élèves en recourant qu’il devait transporter en
autobus. Collection du CFOF,
à la tradition orale. Cette façon originale de les sortir Nancy-Gaëlle Barras, 1998.
du livre les intéressera aux institutions grecques et
latines, une matière peu séduisante pour de jeunes
esprits. Ses initiatives d’enquête lui vaudront pourtant
les reproches de confrères jésuites, l’obligeant à
s’expliquer auprès de ses supérieurs de sa conduite
soi-disant scandaleuse. Le parallèle s’établit clairement
avec le héros du film de Benoît Pilon, Le Club Vinland .
6
Planté en Charlevoix à la même époque, ce drame
présente aussi un religieux progressiste, le frère Jean,
qui initie ses élèves à ses propres recherches et les
mène à entreprendre des fouilles archéologiques.
Une université française à Sudbury

Inspiré par ses professeurs de l’Université Laval, des
chercheurs dont la simplicité le fascine, notamment
par leur passion d’apprendre de toute source, même
de leurs étudiants, Germain Lemieux fera sienne
leur attitude. Toutefois, ses propres expériences
l’ayant déjà rompu à l’enquête orale, il se forgea une
méthodologie et des outils de recherche dont il ne
dérogera jamais. Résolument engagé à documenter
l’esprit français des pionniers du Nord ontarien, il
vivra la bilinguisation de l’Université de Sudbury au
moment de sa fédération à l’Université Laurentienne
en 1960 comme un abandon de la mission première
des Jésuites. Il conservera néanmoins l’espoir de voir

6 Réalisateur Benoit Pilon, Le Club Vinland, production de Chantal Lafleur,
Les films Opale, 2021.

12 LE CHAÎNON, ÉTÉ 2021