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SECTION SPÉCIALE : LES CONTES ET LÉGENDES DE L’ONTARIO FRANÇAIS
La faute à Beaudry
(COLLECTION LES VIEUX M’ONT CONTÉ, (COLLECTION LES VIEUX M’ONT CONTÉ,
VOLUME 5, PAGE 179) VOLUME 3, PAGE 181)
Historiette populaire racontée le 28 juin 1967, à
Chelmsford, Ontario, par Ludger Carrière (65 ans),
qui l’avait apprise dans les veillées à Chelmsford,
vers 1950. Enregistrement n 3349.
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(VERSION VERBATIM)
Il y avait une fois un curé qui vint s’installer Enn’ foi’, i’ y avè’ enn’ paroèss’, p’i’ i’ avaient
dans une paroisse. Après avoir rangé ses changé d’curé. Ça fait qu’ le curé nouveau,
affaires, il décida, un beau matin, de faire la quand qu’i’ â arrivé la, ça fait que, après qu’i’
visite de sa paroisse afin de mieux connaître été’ installé in peu, i di’ : « Asteur, m’âs fair’
ses fidèles. ma vésit’ de paroèss’ », pour connaît’ sés
paroèssiens pi’oèr quoi c’qui s’pâssait.
Il s’arrêta tout d’abord dans une famille qui
comptait plusieurs enfants; il apprit que, Fait que, commenç’ sa vésit’, p’i’ i’ arrive à
tous les ans, la mère mettait au monde un enn’ maison p’is c’tait tout’ .. . i avè enn’ gross’
rejeton, mais il n’osa pas demander aux famille, i’ avè’ in p’tit à tout’s lés an. Fè’ [fait],
parents pourquoi ils tenaient à avoir autant à c’tte ell’-lâ, i’ â pas trop parlé. I arrive à l’aut’
d’héritiers. Comme il trouva que l’histoire se maison, c’tè’ encôr pareil. Fait qu’i’ di’ à femme,
répétait dans la famille voisine, il s’adressa, i’dit : « Comment ça s’fè’, i’ dit, qu’vou’ avez tant
intrigué, à la maîtresse de maison et la pria dés gross’s famille’, par écitt’ ? I dit, vous avez
de vouloir l’éclairer : « Comment se fait-il tant d’enfan ? I dit, moé, i’ di’, où je d’vien, i’ dit,
que dans la région ici les familles comptent lés famill’s deux t’oâs enfan !
beaucoup d’enfants? Dans mon pays, elles
n’en ont que deux ou trois! — Ah b’en ! ‘a di’, écitte, ‘a dit. c’é’ [ c’est ] ‘a
— Ah bien, c’est la faute à Beaudry! » faute à Beaudry !»
Le curé ne voulut pas pousser plus avant Ah ! i’ â pas d’mandé plus long. L’curé tait
l’interrogation. Il se sentait déjà mal à l’aise gêné in peu. I’ osait pas trop quessionner
d’avoir posé cette question. [questionner] p’is . . . Fè’ encôr’ que’qu’s
Il poursuit donc sa visite des maisons. Et à maisons, p’is c’tait . . . tout’s lés mésons qu’i’
sa grande surprise, il constate que chaque allait, c’tait pareil. I avè’ in p’tit à tout’s lés ans,
famille s’enrichit annuellement d’un nouvel p’i’ i’ pouvait pas comprend’ quoi ç’ c’ést qu’ça
enfant. Le pauvre curé ne pouvait pas voulait dir’.
s’expliquer la régularité et l’universalité du
phénomène. Temps en temps, b’en, i’ d’mandé’ à enn’
femm’ : « Quoi c’c’ést qu’ça veut dir’ qu’vous
Il se risquait bien ici et là à reformuler avez tant d’enfants qu’çâ ?
timidement sa question « Pourquoi y a-t-il
autant d’enfants dans la famille? » Mais il — La femme, ‘a disait : C’é’ ‘a faute à Beaudry ! »
recevait immanquablement la même réponse
de la femme : « C’est la faute à Beaudry. »
8 LE CHAÎNON, ÉTÉ 2021