Page 79 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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-Pourquoi   être  inquiet,  rétorqua  Louise  avec  vivacité.  On
                                   n'est  qu'à  sept milles de La Morendière  et on a le téléphone.  On est
                                   sûr de ne pas  manquer  de chauffage  ni  de nourriture.  Comparé  aux
                                   gens du  Biafra  et  à ceux de certains  quartiers  de vos  villes ...
                                       Dans  son  for  intérieur,  Honoré  dut  admettre  que  le  bonheur,
                                   c'est  quelque chose de  bien  compliqué,  une  manière  de  prendre  la
                                   vie,  de  se  contenter  de  ce  qu'on  a.  Puis,  il  lui  vient  subitement  à
                                   i'esprit  que Louis-Philippe n'avait  pas  terminé  de lui conter  l'histoire
                                   de  Terre-Haute.  Profitant  d'un  arrêt  de la  conversation,  il  lui  posa
                                   directement  la  question :
                                       -Dis   donc, Louis-Philippe,  tu  n'm'as  pas  enwre dit  c'qui  est
                                   arrivé  à  vot'  moulin.
                                       - I'voudrais  pas ennuyer Louise et Éloi : c'est une malheureuse
                                   histoire  qu'ils  connaissent  trop  bien.  Marie  aussi.  Pour  te  faire
                                   plaisir,  je  vais  essayer  de  te  dire  en peu  de  mots  ce  qui  est  arrivé.
                                       Voici  à peu  près  ce qu'il  raconta.

                                       Cette industrie avait  tellement progressé depuis son implantation
                                   à  Terre-Haute,  qu'elle  était  devenue  le  principal  gagne-pain  de  ses
                                   habitants.  Le  désastre  frappa  comme  la  foudre.  Un  été,  une  nuée
                                   de  moucherons,  venue  d'on  ne  sait  où,  était  tombée  à  l'improviste
                                   sur  la  forêt.  Ces  insectes  s'attaquèrent  surtout  aux bouleaux  et  aux
                                   merisiers, les  deux essences qui  alimentaient le moulin.  À  la  fin  de
                                   juillet  et  au  début  d'août,  on pouvait  observer  le  jaunissement  des
                                   feuilles,  qui  tombaient  prématurément.  Le  printemps  suivant,  on
                                   dénombra  des  centaines  d'arbres  dont  les  bourgeons  avaient  séch6
                                   avant  l'éclosion.  Et  le  mal  alla  en  empirant,  malgré  les  nuages
                                   d'insecticides  déversés  par  les  avions  du  ministère  des  Forêts.  Les
                                   troncs des arbres morts devenaient vite tondreux  et inutilisables.
                                       La  panique  fit  perdre  aux  habitants  de  la  montagne  leur  foi
                                   paysanne  dans  la  vertu  régénératrice  de  la  terre.  Aussi,  les  vit-on
                                   se  hâter  d'abattre  tous  les  feuillus  encore  sains.  Pendant  les  mois
                                   qui suivirent, de l'aube  au crépuscule, on entendait  aux quatre  coins
                                   de l'horizon  le bruit  strident des  scies mécaniques  et  le gémissement
                                   des  arbres  sacrifiés  qui  s'écrasaient  sur  les  jeunes  pousses  irrémé-
                                   diablement  mutilées.  Les  piles  s'amoncelèrent  le  long  des  sentiers
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