Page 17 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Comme  tous  les  paysans,  il  redoute  l'intégration  bmtale  à  un
                                   nouveau  milieu.  Même  s'il  a  fait  trois  ans  de  eoUège  elassique,  il
                                   ne  détient  ni  certificat  ni  diplôme.  II  ne  connaît  bien  que  la  terre
                                   et  la  forêt.  Il ne  se  fait  pas  d'illusion.  À  einquante-six  ans,  c'est
                                   trop  tard  pour  apprendre  un  métier.  À  cet  âge,  qui  voudrait
                                   I'embaucher ?  Aussi,  se  demande-t-il  avee  anxiété  ce  qu'il  devien-
                                   drait  dans  un  village ou  à  la  ville.  Sans doute un  chômeur  de plus.
                                   Il chasse  bicn  loin  I'idée  qu'un  jour  il  pourrait  viwe  au  croehet  du
                                   Gouvernement.
                                       Il fallait  qu'on  le  presse  de quitter  la  montagne  pour  qu'il  se
                                   rende compte jusqu'à  quel  point  il  est  attaché  à  ce  sol  âpre qu'il  a
                                   conquis  par  la  foree  de  ses  bras  et  de  ses  jarrets,  à  un  terroir  où
                                   il  a  mêlé  ses  sueurs,  et  un  peu  de  sang  parfois,  aux  copeaux  des
                                   abattis,  à la eendre des brûlis,  à l'humus  des labours.  Hors  de  ces
                                   lieux  familiers,  il  craint  de se  sentir  dépaysé  comme  un  animal  en
                                   cage  ou un  arbre mal  transplanté.
                                        Jusqu'à  maintenant,  Marie  a  soutenu  ses  projets  et  approuvé
                                   ses décisions.  Il se demande  combien  de  temps  encore  elle  pourra
                                   tenir  le  coup  dans  une  solitude  qui  s'épaissit  de  jour  en  jour.  Il
                                   s'inquiète  de ne  plus  l'entendre fredonner  comme  autrefois.  Dans le
                                   silence dont  elle  s'cntoure,  il  devine une  angoisse  grandissante.

                                       il  se sent  vulnérable  devant  un  avenir  qui  lui  échappe  et  il  en
                                   veut  à  ces étrangers  qui le  manipulent  à  la  plaee  des gens du pays.
                                   Il y a plusieurs  années - dix peut-être - que des comités  étudient
                                   et  que  des  spécialistes  dressent  des  plans  de  développement.  On
                                   gaspillera  des sommes importantes  pour  trouver  une  nouvelle  voca-
                                   tion  à  un  pays  destiné par  ses  réalités  géographiques,  d'un  côté  à
                                   la  forêt,  de l'autre  à  la  mer.
                                        Revenant  à des problèmes plus  immédiats,  il  essayait  de s'ima-
                                   giner  ce que  deviendrait la  vie  sur la montagne  en  plein  hiver  si on
                                   eoupait  l'électricité  et  le  téléphone  et  si  on  cessait  le  déblaiement
                                   des ehemins.  Un  retour  de vingt  ans cn  arrière.

                                        -À  quoi  penses-tu ?  lui  demanda  Marie  qui  s'était  levée  et,
                                   la  main  gauche sur la  hanche,  allait  déposer  son  tricot  sur le  bahut.

                                        -Aux  problèmes de l'hiver  qui  vient.
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