Page 16 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Louis-Philippe  Landry  ne  peut  accepter  que  des  forces  exté-
                               rieures  viennent  l'arracher  à  ce  coin  de  pays  où  il  a  dépensé  le
                               meilleur de son  existence.  Dans  son  esprit, pour  qu'un  pays  meure,
                               il  faut  que  ses  habitants  aicnt  perdu  toute  confiance  aux  vertus  de
                               la  terre.  Il  en  veut  aux  citoyens  de  Terre-Haute  qui  ont  préféré
                               déscrter  au  lieu  d'appuyer  ceux  qui se  battent  résolument  contre  les
                               décisions  venues  d'ailleurs.
                                    Depuis  qu'il  s'est  établi  sur  la  montagne,  il  n'a  joui  d'aucun
                               privilège.  Sa ferme n'est  ni plus fertile ni mieux  situés que les autres
                               terres de la  paroisse.  Pourtant,  les revenus  qu'il  en a  tircs - si  l'on
                               ajoute  l'appoint  puisé  à  la  forét  - lui  ont  permis  de  procurer  à  sa
                               famille  toutes  les  commodités  dont  jouissent  celles  qui  vivent  dans
                               la  plaine.  II  ne  voit  pas  cc  qu'il  pourrait  envier  aux  habitants  des
                               villages  des  alentours.  Trente  pour  csnt,  et  peut-être  davantage,
                               sont  des  clients  réguliers  de  l'Assistance  publique.  Tandis  que  lui,
                               il  a  amassé  des économies.
                                    Malgré  son  air  determiné,  il  est  pris  dans un  terrible  dilemme.
                               Privée  de  tout  service  communautaire,  sa  propriét?  n'a  plus  aucune
                               valeur  commerciale.  Par  contre,  les  évaluateurs  du  Gouvernement
                               lui ont offert huit  mille huit  cents dollars.  Pour clore la  négociation,
                               peut-étre  accepteront-ils  d'ajouter  deux  cents  dollars.  Au  point  où
                               en  sont  les  choses,  il  ne  peut  attendre  davantage.
                                    Dans  les  villages  d'en-bas,  on  discute  vivement  de  ce  qui  se
                               passe  à  Terre-Haute.  C'cst  la  conversation  préférée  des  retraités  et
                               des  chômeurs.  Il  va  sans  dire  que  plusieurs  - surtout  ceux  qui
                               n'ont  eu  d'autre  ambition  que de vivre  au  jour  le  jour  - trouvent
                               trop  généreuses  les  offres  du  Gouvernement.  011 devine  facilement
                               que  Louis-Philippe  n'est  pas  d'accord.

                                    II  ne  voit  pas  comment  il  pourrait,  avec cette  Fommc  ridicule,
                               se  procurer  une  partie  des  biens  dont  il  jouit  en  abondance  depuis
                               plus d'un  quart de siècle.  Ce ne  serait même pas suffisant  pour  bàtir
                               une  modeste  maison.  11  songe  avec  amertume  au  prix  qu'il  devra
                               payer pour le logement, le chauffage, la  nourriture.  Mais il  y  a  plus
                               grave encore et  cela  il ne peut l'accepter  : être privé  de la possibilité
                               de disposer  de  sa  personne  et  de son  temps.  La  seule  vraie  liberté.
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