Page 112 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Cette  scène  inattendue  les  avait  tous  bouleversés.  Un  silence
                                 épais  avait remplacé les  rires  et les  chants.  Ils  se rendaient compte
                                 que, même à  Terre-Haute,  aucun des leurs n'avait  connu la privation
                                 du nécessaire,  surtout pas l'absence  de toute chaleur humaine.  Cette
                                 nuit,  ils  rencontraient  un  véritable  déshérité.  Et,  celui-là,  ce  n'était
                                 pas un  vague  individu  d'un  pays  lointain.  II  était  de Ieur  race et  il
                                 avait  vécu  au  milieu  d'eux  sans  même  qu'ils  s'en  aperçoivent.
                                      Pour  rompre  Ie  sortilège,  Anne  fit  jouer  quelques  chansons
                                 anciennes.  Toutes  les  figures  étaient  empreintes  de  gravité.  Marie
                                 jugea  quand  même utile d'ajouter  :
                                      -Quand   mon  mari  reviendra  avec  Désiré.  restez  bien  calmes,
                                 comme  si  tout  était  normal.  Vous  vous  êtes  rendu  compte  qu'un
                                 rien  l'effraie.  Ayez pour lui  un peu  de sympathie dans votre  cœur  :
                                 vos  gestes  deviendront  naturels  et  convenables.



                                      Désiré  s'était  empiffré,  comme  s'il  avait  jeûné  depuis  une  se-
                                 maine.  En  sortant  de table,  il  s'était  confortablement  installé  dans
                                 une  berceuse  dont  le  siège  et le  dossier  sont  recouverts  d'une  peau
                                 de mouton.  Le  cou  engoncé dans  un  veston  trop  ample,  il  n'avait
                                 cessé de se ronger  les ongles tout  en suivant  d'un  œil  terne les  ébats
                                 des jeunes.
                                      Vers  cinq  heures  du  matin.  les  danseurs  s'arrêtèrent.  exténués.
                                 Peu  après,  on  se sépara  pour  dormir.  Louis-Philippe  installa  l'Idiot
                                 sur le tapis  du salon.  Un  édredon  en  guise de matelas,  une  chaude
                                 couverture  de laine du pays et  une courte-pointe.  Jamais le  pauvre
                                 bougre  n'avait  été traité si royalement.
                                      Quand  elle fut prête  à  se mettre  au  lit.  Marie posa  à  son mari
                                 la  question qu'il  attendait :
                                     -Qu'est-ce   que tu comptes en faire ?
                                     - J'sais  vraiment pas.  II n'est  pas question de le garder ici : ce
                                 serait une cause d'embêtement.  D'ailleurs,  ses propres  parents  n'ont
                                 pas  été capables de le supporter.

                                     -II   doit, tout de même,  y  avoir  une solution ?
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