Page 100 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 100
proches les unes des autres pour l'essentiel. II essayait d'imaginer les
sentiments qui naissent dans une telle atmosphère imprégnée de la
chaleur qui se dégage de ces corps d'hommes et de femmes : joie,
tristesse, envie, espérance, déception, amour. .. A la dérobée, il
observait ses propres enfants parfaitement à leur aise dans ce décor
inhabituel. II se revoyait à leur âge, prisonnier de cent interdits
desséchants. II lui semblait que sa vie avait duré un siècle.
De temps en temps, il jetait un coup d'œil furtif vers Léocadie,
la femme de Pierre Babin. Elle avait coquettement rejeté sur ses
épaules le collet de son manteau de rat musqué, dégageant une nuque
restée lisse comme l'écorce d'un hêtre. Il lui semblait que le temps
n'avait pas eu d'emprise sur cette figure qui sourit, même dans
l'immobilité, et que ses yeux de jais n'avaient rien perdu de leur
pétillement.
Il avait connu Léocadie Poirier lors d'une visite à Saint-lean-des-
Buttereaux, deux ans après son arrivée à Terre-Haute. Elle lui
était apparue comme la femme idéale, celle qu'on découvre quand
on est déjà marié. Dans le secret de son âme, il l'avait aimée, il
l'avait même désirée. Depuis qu'elle était devenue la femme de
Pierre Babin, il avait évité les rencontres inutiles. Puis, le temps
avait abattu l'ardeur des flammes. Aujourd'hui, il sent brûler dans
ses veines le vieux feu assoupi.
Dans la tristesse de ses vêtements sombres, Marie était restée
impassible mais, plus que jamais, son imagination se débattait dans
le ressac de ses souvenirs. De l'endroit où elle était assise, elle
apercevait les croix du cimetière se détachant dans la demi-clarté
réfléchie par la neige. Elle avait la sensation que tous ces morts
assisteraient eux aussi à cette mystérieuse nuit de Noël. Nul doute
qu'ils seront présents dans la mémoire des anciens qui restent aussi
attachés à leurs défunts qu'au sol auquel ils s'accrochent désespéré-
ment.
Depuis deux ou trois ans, ceux qui habitent encore Terre-Haute
avaient cessé d'entretenir leurs maisons et leurs dépendances. A
quoi bon, se disaient-ils, dépenser encore de l'argent pour des répara-
tions puisque avant longtemps il faudra tout démolir. Il en fut
tout autrement du cimetière. Au cours du dernier été, le terrain des
- 103 -