Page 97 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 97
daire. .& leur tour, les élèves de l'école élémentaire entraient en
congé le 23. La veille di: la fête, on avait salué avec des explosions
de joie l'arrivée de plusieurs jeunes couples qui voulaient célébrer
avec leur famille ce Noël exceptionnel. Il en était venu de tous
les coins du pays : de Montréal, de Québec, de la Côte-Nord et
d'ailleurs. Chez Louis-]Philippe Landry, il y aura deux absents.
Louis est parti dans le sud avec un groupe d'amis, et Jacques avait
écrit qu'il viendrait pour le Jour de l'An.
Malgré leur habituel comportement anticonformiste, les ado-
lescents avaient été entraînés par l'atavisme qui habite leurs cellules.
Aussi, s'étaient-ils associés, sans arrière-pensée, aux sentiments qui
remuaient l'âme des anciens. En cetle nuit singulière, il semblait
à tous qu'un fluide mysl6rieux enveloppait le pays et s'infiltrait dans
les habitations. Il provoquait un mélange confus de joie et d'an-
goisse, d'espoir et d'appréhension.
Quand la cloehe avait sonné. Marie était seule à la maison.
Louis-Philippe était allé chez Zidore Lavoie pour discuter de trans-
port de billes au moulin de l'Anse-au-Sable ; quelques minutes plus
tôt, les jeunes, cheveux au vent et manteau à demi attachés, avaient
sauté en riant dans la coccinelie d'Anne, et ils étaient allés rejoindre
les autres garFons et filles pour une répétition de chants appropriés
à la fête.
La femme s'était surprise à marcher sur le bout des pieds et
à baisser le son de la radio, comme si elle veillait au chevet d'un
mourant. Peut-être un geste inconscient de sollicitude pour un pays
qui s'en va de consomption. Elle songe aux Noëls des années pros-
pères alors que par centaines les gens d'ici accouraient à la messe
de minuit ; elle pense aux absents, aux deux fils qui ne seront pas
là pour le réveillon, à tous ceux qui ont cherché ailleurs une terre
plus hospitalière, aux autres qui sont disparus dans la mort. Pendant
que sa mémoire déroulait le film de ses souvenirs, elle revêtait une
robe bleue, celle qui s'liarmonise à l'acier de ses yeux.
Marie était sortie de la chambre en emportant son chapeau et
son manteau quand Louis-Philippe entra.
Brr. Ferme vi.te la porte, tu nous gèles, lui dit-elle méca-
niquement.