Page 104 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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des  têtes, sans que  les  esprits  soient  aucunement  touchés.  Dans  son
                               âme  de  fils  de  paysan,  il  sentait  qu'il  devait  parler  simplement,
                               comme il avait  appris à le  taire avec ses étudiants.

                                    II  s'exprima  ainsi :
                                    -C'est   avec joie  que je  suis venu célébrer avec vous la nuit de
                               Noël  sur  la  montagne.  Je  comprends  qu'elle  prenne  pour  vous  un
                               caractère  inhabituel.  C'est,  comme  on dirait, une  nuit  d'adieu  à un
                               pays  où  vous  avez peink, où  vous  avez  souffert,  où  vous  avez  aimé.
                               Il  est  bien  naturel  que  devant  l'obligation  de  le  quitter  avant  long-
                               temps,  ceux  qui  y  ont  passé  le  meilleur  de  leur  vie  ressentent  de
                               l'affliction.  En plus  du  prêtre, c'est un fils de cette paroisse qui vous
                               demande  de  quitter  cette tristesse  pour  célébrer dans  la  joie  la  plus
                                grande des  fêtes çhrétiennes.
                                    II  continua  :

                                    -Vous   vous  attendez  peut-être  que  je  sois  le  seul  à  parler,
                               comme  le  veut  la  coutume.  Ce  n'est  pas  du  tout  mon  intention.
                               Pourquoi  chacun  de  vous  n'exprimerait-il  pas  tout  haut  ce  qu'il
                               ressent  dans  son  âme '?  Vous  venez  d'entendre  la  lecture  de  I'évan-
                               gile du jour.  Si nous  en parlions  un  peu  cnscmble ...

                                    Un  mouvement  de  surprise  troubla  l'assemblée.  Des  têtes  se
                               tournèrent  à  droite  ou  à  gauche,  comme  pour  interroger  le  voisin
                               ou  la  voisine.  Certes,  au  cours  des  dernières  années,  on  s'était
                               habitué  aux  réunions  publiques  où  chacun  exprimait  son  point  de
                               vue.  Mais  à l'église,  cela ne s'était  jamais  vu.  On vit  le père  Jean-
                               Baptiste  Savoie  pencher  sa  crignasse  blanche  vers  sa  vieille,  sans
                               doutc pour  lui  dire  :
                                    -C'est   le  monde  à  l'envers  !  Quand  on  était  jeune,  on  nous
                               a dit au catéchisme que c'était  péché  parler dans l'église.  Ma  parole,
                               i  viennent  fous !

                                    Comme personne ne  s'était  encore décidé à  parler, i'abbt!  inter-
                               vint  de  nouveau  :
                                    -Je  comprends  voue  hésitation  : on  nous  a  si longtemps  prê-
                               ché  le  devoir  du  silence  à  i'église  et  ailleurs.  Pourquoi  faudrait-il
                               agir  autrement  ici  que chez  vous  quand  vous  avez un  visiteur ?  Ce
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