Page 81 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Arché, après avoir remercié, ajouta avec beaucoup de
                                         modestie.
                                           - Je suis vraiment confus de tant de louanges pour une
                                         action aussi simple. J'étais probablement la seule personne
                                         qui sût nager, parmi les spectateurs: car tout autre en aurait
                                         fait autant. On prétend, ajouta-t-il en souriant, que vos
                                         femmes sauvages jettent leurs enfants nouveau-nés dans un
                                         lac, ou dans une rivière, leur laissant ensuite le soin de gagner
                                         le rivage: c'est une première leçon de natation. Je suis porté
                                         à croire que nos mères dans les montagnes d'Ecosse suivent
                                         cette excellente coutume: il me semble que j'ai toujours su
                                         nager.
                                          -  Encore farceur ce M. Arché 1 dit le capitaine. Quant
                                         à moi, il y a cinquante ans que je navigue, et je n'ai jamais
                                         pu apprendre à nager (h): ce n'est pourtant pas faute d'avoir
                                         tombé à l'eau plus qu'à mon tour; mais j'avais toujours la
                                        chance de me raccrocher quelque part. A défaut d'un objet
                                        quelconque à ma portée, je jouais des pattes comme font
                                        les chats et les chiens; et tôt ou tard quelqu'un me repê-
                                        chait, puisque je suis ici.
                                          Ceci me rappelle une petite aventure de ma vie de marin.
                                        Mon navire était ancré sur les bords du Mississipi. Il pou-
                                        vait être neuf heures du soir, après une de ces journées
                                        étouffantes de chaleur dont on ne jouit que près des tro-
                                        piques. Je m'étais couché sur le beaupré de mon vaisseau
                                        pour respirer la brise du soir. Sauf les moustiques, les brû-
                                        lots, les maringouins, et le bruit infernal que faisaient les
                                        caïmans réunis, je crois, de toutes les parties du Père des
                                        Fleuves, pour me donner une aubade, un prince- de l'Orient
                                        aurait envié mon lit de repos. Je ne suis pourtant pas trop
                                        peureux de mon naturel, mais j'ai une horreur invincible pour
                                        toute espèce de reptiles, soit qu'ils rampent sur la terre, soit
                                        qu'ils vivent dans l'eau.
                                          - Vous avez, capitaine, dit Jules, des goûts délicats, raf-
                                        finés, aristocratiques, pour lesquels je vous honore.
                                          - Tu oses encore parler, méchant garnement, s'écria Mar-
                                        cheterre en le menaçant, tout en riant, de son énorme poing:
                                        j'allais t'oublier, mais tu auras ton tour bien vite. En atten-
                                        dant je continue: je me trouvais heureux dans ma sécurité
                                        sur mon mât, d'où j'entendais craquer les mâchoires de ces
                                        monstres affâmés. Je narguais même mes ennemis en leur
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