Page 156 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 156

reconnut en lui le vieux curé, mort aussi depuis vingt ans,
                                    qui l'avait baptisée et lui avait fait faire sa première corn·
                                    munion. Loin d'être frappée de stupeur à l'aspect de cet hôte
                                    de la !ombe, loin d'être épouvantée de ce prodige, la pau-
                                    vre Mere, toute à sa douleur, pensa que son vieil ami, tou-
                                   ché de son désespoir, avait brisé les liens du linceul pour
                                    venir offrir une dernière fois pour elle le saint sacrifice de
                                   la messe; elle pensa que ce bon pasteur qui l'avait consolée
                                    tant de fois, venait à son secours dans ses angoisses mater-
                                   nelles.
                                     Tout était grave, morne, lugubre, sombre et silencieux
                                   pendant cette messe célébrée et servie par la mort. Les cier-
                                   ges même jetaient une lumière pâle comme celle d'une
                                   lampe qui s'éteint. A l'instant où la cloche du sanctus, ren-
                                   dant un son brisé comme celui des os que casse le fossoyeur
                                   dans un vieux cimetière, annonçait que le Christ aIlait des-
                                   cendre sur l'autel, la porte de la sacristie s'ouvrit de nou-
                                   veau et donna passage à une procession de petits enfants, qui,
                                   marchant deux à deux, défilèrent, après avoir traversé le
                                   chœur, dans l'allée du côté de l'Epître. Ces enfants, dont
                                   Jes plus âgés paraissaient avoir à peine six ans, portaient
                                   des couronnes d'immortelles, et tenaient dans leurs mains,
                                   Jes uns des corbeilles pleines de fleurs, et des petits vases
                                   remplis de parfums, les autres des petites coupes d'or et
                                   d'argent contenant une liqueur transparente. Ils s'avançaient
                                   tous d'un pas léger, et la joie rayonnait sur leurs visages
                                   célestes. Une seule, une petite fille, à l'extrémité de la pro-
                                   cession, semblait suivre les autres péniblement, chargée qu'elle
                                   était de deux immenses seaux qu'elle traînait avec peine.
                                   Ses petits pieds, rougis par la pression, ployaient sous le far-
                                   deau, et sa couronne d'immorteIles paraissait flétrie. La pau-
                                   vre mère voulut tendre les bras, pousser une acclamation de
                                   joie en reconnaissant sa petite fille, mais ses bras et sa lan-
                                   gue se trouvèrent paralysés. Elle vit défiler tous ces enfants
                                   près d'elle dans l'allée du côté de l'Evangile, et en reconnut
                                   plusieurs que la mort avait récemment moissonnés. Lorsque
                                   sa petite fille, ployant sous le fardeau, passa à ses côtés, elle
                                   remarqua qu'à chaque pas qu'elle faisait, les (jeux seaux,
                                   qu'elle traînait avec tant de peine, arrosaient le plancher
                                   de l'eau dont ils étaient remplis jusqu'au bord. Les yeux
                                                       -   157-
   151   152   153   154   155   156   157   158   159   160   161