Page 130 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Est-ce la noble et riche demoiselle, élevée entre la soie et
le coton, qui n'aura bientôt comme moi qu'une cabane pour
abri? Malheur 1 Malheur 1 Malheur 1
Elle se releva tout à coup avant de s'enfoncer dans la forêt,
et s'écria de nouveau en voyant Jules très affecté:
- Est-ce bien Jules d'Haberville qui s'apitoie sur mes
malheurs? Est-ce bien Jules d'Haberville, le brave entre les
braves, dont je vois le corps sanglant traîné sur les plaines
d'Abraham? Est-ce bien lui qui ensanglante le dernier glo-
rieux champ de bataille de ma patrie? Malheur 1 Malheur 1
Malheur 1
.. Cette pauvre femme me fait beaucoup de peine, dit de
Locheill, comme elle se préparait à entrer dans le fou.rré.
Elle l'entendit, se retourna pour la dernière fois, se croisa
les bras, et lui dit avec un calme plein d'amertume:
- Garde ta pitié pour toi, Archibald de Locheill: la folle
du domaine n'a pas besoin de ta pitié! garde-la pour toi et
tes amis! garde-la pour toi-même lorsque, contraint d'exé-
cuter un ordre barbare, tu déchireras avec tes ongles cette
poitrine qui recouvre pourtant un cœur noble et généreux 1
Garde ta pitié pour tes amis, ô Archibald de Locheill ! lors-
que tu promèneras la torche incendiaire sur leurs paisibles
habitations: lorsque les vieillards, les infirmes, les femmes
et les enfants fuiront devant toi comme les brebis à l'appro-
che d'un loup furieux! Garde ta pitié; tu en auras besoin
lorsque tu porteras dans tes bras le corps sanglant de celui
que tu appelles ton frère! Je n'éprouve, à présent, qu'une
grande douleur, ô Archibald de Locheill! c'est celle de ne
pouvoir te maudire! Malheur! Malheur! Malheur 1
Et elle disparut dans la forêt.
_ Je veux qu'un Anglais m'étrangle, dit mon oncle Raoul,
si Marie la folle n'était pas ce soir le type de toutes les sor-
cières chantées par les poètes anciens et modernes: je ne sais
sur quelle herbe elle a marché, elle toujours si polie, si douce
avec nous.
Tous convinrent qu'ils ne l'avaient jamais entendue parler
sur ce ton. On fit le reste du chemin en silence; car, sans
ajouter foi à ses paroles, ils avaient néanmoins gardé dans
leur âme un fonds de tristesse.
Mais ce léger nuage fut hientôt dissipé à leur arrivée au
manoir, où ils trouvèrent une société nombreuse.
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