Page 135 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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une jatte de framboises, une bouteille de vin: et voilà ton
                                       souper, Jules, mon ami 1
                                         -  Et jamais vivier et colombier, dit celui-ci, n'auront
                                       fourni un meilleur repas à un chasseur affamé.
                                         Le repas fut très gai, car Monsieur d'Egmont semblait,
                                       malgré son grand âge, avoir retrouvé la gaieté de sa jeu-
                                       nesse, pour fêter son jeune ami. Sa conversation, toujours
                                       amusante, était aussi très instructive; car, s'il avait beaucoup
                                       pratiqué les hommes dans sa jeunesse, il avait aussi trouvé
                                       dans l'étude une distraction à ses malheurs.
                                         -  Comment trouves-tu ce vin? dit-il à Jules, qui, man-
                                       geant comme un loup, avait déjà avalé quelques rasades.
                                         -  Excellent, sur mon honneur.
                                         -  Tu es connaisseur, mon ami, reprit Monsieur d'Egmont;
                                       car, si l'âge doit améliorer les hommes et le vin, celui-ci doit
                                       être bien bon, et moi je devrais arriver à la perfection, car
                                       me voilà bien vite nonagénaire.
                                         -  Aussi, dit Jules, vous appelle-t-on le bon gentilhomme.
                                        -  Les Athéniens, mon fils, bannissaient Aristide en l'appe-
                                       lant le juste. Mais laissons les hommes et parlons du vin:
                                       j'en bois rarement moi-même; j'ai appris à m'en passer comme
                                       de bien d'autres objets de luxe inutiles au bien-être de
                                      l'homme, et je jouis encore d'une santé parfaite. Ce vin, que
                                      tu trouves excellent, est plus vieux que toi: son âge serait
                                      peu pour un homme; c'est beaucoup pour du vin. Ton père
                                       m'en envoya un panier le jour de ta naissance; car il était si
                                      heureux, qu'il fit des cadeaux à tous ses amis. Je l'ai tou-
                                      jours conservé avec beaucoup de soin, et je n'en donne que
                                      dans les rares occasions comme celle-ci. A ta santé, mon cher
                                      fils; succès à toutes tes entreprises, et lorsque tu seras de
                                      retour dans la Nouvelle-France, promets-moi de venir souper
                                      ici et boire une dernière bouteille de ce vin, que je garderai
                                      pour toi.
                                        Tu me regardes avec étonnement; tu crois qu'il est pro-
                                      bable qu'à ton retour j'aurai depuis longtemps payé cette
                                      dernière dette que le débiteur le plus récalcitrant doit à la
                                      nature! Tu te trompes, mon cher fils; un homme comme moi
                                      ne meurt pas. Mais, tiens, nous avons maintenant fini de
                                      souper; laissons la ~able du fes,tin, et allons nous asseoir sub
                                      tegmine fagi, c'est-a-dlre, au pIed de ce superbe noyer, dont
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