Page 104 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Transportons-nous au mois de novembre, époque à laquelle
                                     les rentes seigneuriales sont échues.
                                       Mon oncle Raoul, une longue plume d'oie fichée à l'oreille,
                                     est assis majestueusement dans un grand fautel,lil, près d'une
                                     table recouverte d'un tapis de drap vert, sur laquelle repose
                                     son épée. Il prend un air sévère lorsque le censitaire se pré-
                                     sente, sans que cet appareil imposant intimide pourtant le
                                     débiteur accoutumé à ne payer ses rentes que quand ça lui
                                     convient: tant est indulgent le seigneur d'Haberville envers
                                     ses censitaires.
                                       Mais, comme mon oncle Raoul tient plus à la forme
                                     qu'au fond, qu'il préfère l'apparence du pouvoir au pouvoir
                                     même, il aime que tout se passe avec une certaine solen-
                                     nité.
                                       -  Comment vous portez-vous, mon... mon... lieutenant?
                                     dit le censitaire, habitué à l'appeler toujours mon oncle, à
                                     son insu.
                                       -  Bien, et toi; que me veux-tu? répond mon oncle Raoul
                                     d'un air important.
                                       -  Je suis venu vous payer mes rentes, mon... mon offi-
                                     cier; mais les temps sont si durs, que je n'ai pas d'argent, dit
                                     Jean-Baptiste en secouant la tête d'un air convaincu.
                                       Nescio vos / s'écrie mon oncle Raoul en grossissant la
                                     voix: reddite quœ sunt Cœsaris Cœsari.
                                       -  C'est bien beau ce que vous dites-là, mon... mon...
                                     capitaine; si beau que je n'y comprends rien, fait le censi-
                                     taire.
                                       -  C'est du latin, ignorant 1 dit mon oncle; et ce latin
                                     veut dire: payez légitimement les rentes au seigneur d'Ha-
                                     berville, à peine d'être traduit devant toutes les cours royales,
                                     d'être condamné en première et seconde instance à tous
                                     dépens, dommages, intérêts et loyaux coûts.
                                       -  Ça doit pincer dur, les royaux coups, dit le censitaire.
                                       -  Tonnerre 1 s'écrie mon oncle Raoul en élevant les yeux
                                     vers le ciel.
                                       -  Je veux bien croire, mon... mon seigneur, que votre
                                     latin me menace de tous ses châtiments; mais j'ai eu le mal.
                                     heur de perdre ma pouliche du printemps.
                                       -  Comment, drôle 1 tu veux te soustraire, pour une ché-
                                     tive bête de six mois, aux droits seigneuriaux établis par ton
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