Page 109 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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place. Lorsqu'un plat sera vide, ou menacera une ruine pro-
chaine, tu le verras aussitôt remplacé par les servants 1.
- J'en suis d'autant plus surpris, dit Arché, qœ vos cul-
tivateurs sont généralement tr~s économes, pl utôt portés à
l'avarice qu'autrement; alors comment concilier cela avec le
gaspillage qui doit se faire, pendant les chaleurs, des restes de
viandes qu'une seule famille ne peut consommer 2 ?
- Nos habitants, dispersés à distance les uns des autres
sur toute l'étendue de la Nouvelle-France, et partant privés
de marchés, ne vivent, pendant le printemps, l'été et l'au-
tomne que de salaisons, pain et laitage, et, à part les cas
exceptionnels de noces, donnent très rarement ce qu'ils
appellent un festin pendant ces saisons. Il se fait, en revan-
che, pendant l'hiver, une grande consommation de viandes
fraîches de toutes espèces; c'est bombance générale: l'hos-
pitalité est poussée jusqu'à ses dernières limites, depuis Noël
Jusqu'au carême. C'est un va-et-vient de visites continuelles
pendant ce temps. Quatre ou cinq carrioles contenant une
douzaine de personnes arrivent; on dételle aussitôt les voi-
tures, après avoir prié les amis de se dégrayer (dégréer) 3;
la table se dresse, et, à l'expiration d'une heure tout au plus,
cette même table est chargée de viandes fumantes.
- Vos habitants, fit Arché, doivent alors posséder la
lampe d'Aladin!
1. Cet usage était universellement répandu parmi les habitants
riches, ou qui aspiraient à le paraître, ainsi que parmi les riches
bourgeois des villes. La première classe de la société encombrait
aussi ses tables dans les grandes occasions, mais non à cet excès.
2. Les anciens habitants dépensaient un sou avec plus de ré-
pugnance que leurs descendants un louis, de nos jours. Alors
riches pour la plupart, ils ignoraient néanmoins le luxe: le pro-
duit de leurs terres suffisait à tous leurs besoins. Un riche habi-
tant, s'exécutant pour l'occasion, achetait à sa fille, en la mariant,
une robe d'indienne, des bas de coton et des souliers, chez les
boutiquiers: laquelle toilette passait souvent aux petits-enfants de
la mariée.
3. Dégrayer (dégréer): ce terme, emprunté à la marine, est
encore en usage dans les campagnes. Dégrayez-vous, dit-on, c'est-
à-dire ôtez votre redingote, etc. Quelle offre généreuse d'hospi-
talité que de traiter un ami comme un navire que l'on met en
hivemement! Cette expression vient de nos ancêtres normands,
qui étaient de grands marins.
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