Page 102 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 102
Madame Louise de Beaumont, sœur cadette de madame
d'Haberville, ne s'était jamais séparée d'elle depuis son ma-
riage. Riche et indépendante, elle s'était néanmoins vouée à
la famille de sa sœur aînée, pour laquelle elle professait un
culte bien touchant. Prête à partager leur bonheur, elle
l'était aussi à partager leurs peines, si la main cruelle du mal-
heur s'appesantissait sur eux.
Le lieutenant Raoul d'HaberviHe, ou plutôt le chevalier
d'Haberville que tout le monde appelait c mon oncle Raoul,.,
était le frère cadet du capitaine; moins âgé de deux ans que
lui, il n'en accusait pas moins dix ans de plus. C'était un tout
petit homme que c mon oncle Raoul,., à peu près aussi
large que haut, et marchant à l'aide d'une canne; il aurait
été très laid, même sans que son visage eût été couturé par
la petite vérole. Il est bien difficile de savoir d'où lui venait
ce sobriquet. On dit bien d'un homme, il a l'air d'un père,
il a l'encolure d'un père, c'est un petit père; mais on ne dit
jamais de personne qu'il a l'air ou la mine d'un oncle. Tou-
jours est-il que le lieutenant d'Haberville était l'oncle de tout
le monde; ses soldats même, lorsqu'il était au service, rap-
pelaient, à son insu, c mon oncle Raoul,.. Tel, si toutefois on
peut comparer les petites choses aux grandes, Napoléon n'était
pour ses grognards que c le petit caporal,..
Mon oncle Raoul était l'homme lettré de la famille d'Ha-
berville; et partant assez pédant, comme presque tous les
hommes qui sont en rapports journaliers avec des personnes
moins instruites qu'eux. Mon oncle Raoul, le meilleur enfant
du monde, quand on faisait ses volontés, avait un petit
défaut, celui de croire fermement qu'il avait toujours raison;
ce qui le rendait très irascible avec ceux qui ne partageaient
pas son opinion.
Mon oncle Raoul se piquait de bien savoir le latin, dont il
lâchait souvent quelques bribes à la tête des lettrés et des
ignorants. C'étaient des discussions sans fin avec le curé de
la paroisse, sur un vers d'Horace, d'Ovide ou de Virgile, ses
auteurs favoris. Le curé d'une humeur douce et pacifique,
cédait presque toujours, de guerre lasse, à son terrible anta-
80niste. Mais mon oncle Raoul se piquait aussi d'être un
grand théologien, ce qui mettait le pauvre curé dans un
grand embarras. TI tenait beaucoup à rame de son ami, assez
mauvais sujet pendant sa jeunesse, et qu'il avait eu beaucoup
- 103 -