Page 62 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 62

LES ANCIENS CANADIENS                                  63

          voyez-vous, que quand bien même il vous faudrait jeûner toute
          votre vie comme des anachorètes, ça ne sera toujours pas moi
          qui vous ferai rompre votre jeûne, j'ai la conscience trop timorée
          pour cela.
            Je ne sais trop, continua Marcheterre, comment la chose
          arriva; mais toujours est·il que je finis par m'endormir, et que,
          quand je m'éveillai, j'étais au beau milieu de ces jolis enfants.
          Il est impossible de vous peindre mon horreur, malgré mon
          sang-froid habituel.  Je ne perdis pourtant pas toute présence
          d'esprit; je me rappelai, pendant mon immersion, qu'une corde
          pendait au beaupré: j'eus le bonheur de la saisir en remontant
          à la surface de l'eau; mais malgré mon agilité de singe, pendant
          ma jeunesse, je ne m'en retirai qu'en laissant en ôtage, dans le
          gosier d'un ca'iman peu civilisé, une de mes bottes et une partie
          précieuse d'un de mes mollets.
            A ton tour maintenant, lutin du diable, continua le capitaine:
          il faut tôt ou tard que tu me paies le tour que tu m'as joué.
          J'arrivais, l'année dernière, de la Martinique; je rencontre
          monsieur, le matin, à la basse ville de Québec, au moment où
          il se préparait à traverser le fleuve, à l'ouverture de ses vacances,
          pour se rendre chez son père.  Après une rafale d'embrassades,
          dont j'eus peine à me dégager en tirant à bâbord, je le charge
          d'annoncer mon arrivée à ma famille, et de lui dire que je ne
          pourrais descendre à Saint-Thomas avant trois ou quatre jours.
          Que fait ce bon apÔtre?  Il arrive chez moi, à huit heures du
          soir, en criant comme un possédé: de la joie! de la joie! mais
          criez donc, de la joie!
            -Mon mari est arrivé, fait madame Marcheterre!    Notre
          père est arrivé, s'écrient mes deux filles!
            -  Sans doute, dit-il; est-ce que je serais si joyeux sans cela?
            Il embrasse d'abord ma bonne femme: il n'y avait pas grand
          mal à cela.  Il veut embrasser mes filles, qui lui lâchent leur
          double bordée de soufflets, et filent ensuite toutes voiles au vent.
          Quand monsieur eut fini son sabbat, il dit à ma femme: le
   57   58   59   60   61   62   63   64   65   66   67