Page 133 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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                     A ces paroles d'affectueux reproches, une forte secousse ner-
                  veuse acheva de paralyser le peu de force qui restait à Jules;
                   l'épée lui échappa de la main, et il tomba la face contre terre.
                  Arché fit puiser de l'eau dans le ruisseau voisin par un de ses
                  soldats; et sans s'occuper du danger auquel il s'exposait, il prit
                  son ami dans ses bras et le porta sur la lisière du bois, où
                  plusieurs blessés tant Français que Canadiens, touchés des soins
                  que l'Anglais donnait à leur jeune officier, n'eurent pas même
                  l'idée de lui nuire, quoique plusieurs eussent rechargé leurs
                  fusils.  Arché, aptès avoir visité les blessures de son ami, jugea
                  que la perte de sang était la seule cause de la syncope: en effet,
                  l'eau glacée qu'il lui jeta au visage, lui fit bien vite reprendre
                  connaissance.  II ouvrit les yeux, les leva un instant sur Arché,
                  mais ne proféra aucune parole.  Celui-ci lui serra une main,
                  qui parut répondre par une légère pression.
                     - Adieu, Jules, lui dit Arché; adieu, mon frère! le devoir
                  impérieux m'oblige de te laisser: nous reverrons tous deux de
                  meilleurs jours.
                     Et il rejoignit en gémissant ses compagnons.
                     - Maintenant, mes garçons, dit de Locheill après avoir jeté
                  un coup d'œil rapide sur la plaine, après avoir prêté l'oreille
                  aux bruits confus qui en sortaient, maintenant, mes garçons,
                  point de fausse délicatesse, la bataiIle est perdue sans ressource;
                  montrons à présent l'agilité de nos jambes de montagnards, si
                  nous voulons avoir la chance d'assister à d'autres combats; en
                  avant donc, et ne me perdez pas de vue.
                     Profitant alors, avec une rare sagacité, de tous les accidents
                  de terrain, prêtant l'oreille de temps en temps aux cris des
                  Français acharnés à la poursuite des Anglais, qu'ils voulaient
                  refouler sur la rivière Saint-Charles, de Locheill eut le bonheur
                  de rentrer dans la ville de Québec, sans avoir perdu un seul
                  homme de plus.   Cette vaiIlanre compagnie avait déjà souffert:
                  la moitié était restée sur le champ de bataille; et, de tous les
                  officiers et sous-officiers, de Locheill était le seul survivant.
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